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I

Le mot humanitas paraît être assez récent dans la langue latine. Je ne crois pas qu’on le trouve dans ce qui nous reste des écrivains antérieurs à la fin des Guerres Puniques. C’est au vue siècle de Rome qu’il apparaît pour la première fois ; mais alors il obtient tout de suite une vogue extraordinaire : Cicéron l’emploie fréquemment dans ses ouvrages.

Comme il arrive aux mots qui deviennent subitement à la mode et dont on se sert un peu au hasard et par genre, on devait en faire assez souvent un mauvais usage. Aussi voyons-nous que, du temps d’Aulu-Gelle, on n’était pas toujours d’accord sur ce qu’il voulait dire[1]. Quelques grammairiens rigoureux prétendaient qu’on en avait trop étendu la signification, et ils alléguaient, pour montrer qu’il fallait la restreindre, l’exemple des bons auteurs, surtout de Cicéron. Assurément ils avaient tort, car il suffit précisément d’ouvrir Cicéron pour voir combien de sens divers on lui donnait. Ce qui nous rend cette preuve facile à faire, c’est l’habitude qu’il a, pour rendre sa phrase plus ample, de multiplier les synonymes ; ces mots qu’il accouple si volontiers ensemble s’expliquent les uns par les autres.

Par exemple, quand on voit chez lui le mot humanitas joint à ceux de liberalitas, de benignitas, etc., on doit en conclure qu’il avait le sens de bienfaisance et de générosité. Dans une société aristocratique comme celle de Rome, le grand seigneur était tenu de venir en aide à ses cliens ; le riche bourgeois, qui voulait obtenir des fonctions municipales, devait être prodigue envers ses concitoyens, leur donner, des fêtes, les convier à des repas publics, leur faire des distributions d’argent ou de vivres. Cependant, quand on regarde de plus près, on s’aperçoit que ce n’était pas tout à fait à des libéralités de ce genre que s’appliquait ce beau nom d’humanitas. Cicéron fait entendre qu’il est bon, pour le mériter, de ne pas borner ses bienfaits à ses concitoyens, mais de les étendre au besoin sur des étrangers, qu’il convient surtout qu’ils aient un caractère désintéressé, et que, par exemple, on use de sa fortune non pas seulement pour acheter les faveurs du peuple, « mais pour délivrer les captifs des

  1. Aulu-Gelle, XIII, 16.