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aide ; » et, quant au second motif pour lequel les Florentins se sont abstenus, il ira, au besoin, à leur secours comme ils seront allés au sien. Que demande-t-il après tout ? Une pointe de 50 ou 60 cavaliers. Mais il la demande instamment, et non peut-être sans menace : « Je le charge de les en requérir (tes seigneurs, les Dix), avec cette efficacité que tu sauras. » L’intonation n’échappe pas à Machiavel ; en apparence confus de l’audace et confit en humilité, il donne à la Seigneurie ce conseil : « Ne le piquez pas, ne l’irritez pas, en laissant trop voir que vous ne faites rien : ayez l’air de faire quelque chose : passez des revues ; mais de deux on pourra dire quatre, puisque le duc n’en peut avoir les avis certains… »

Et que ces Magnifiques Seigneurs pardonnent au pauvre secrétaire la faveur qu’il s’arroge de se hausser jusqu’à leur oreille : si c’est une faute, qu’ils l’imputent « à une affection naturelle que tout homme doit avoir envers sa patrie. » Le grand mot y est en toutes lettres : la patria. Ainsi Machiavel parle de « la patrie, » qui n’est encore ici que Florence, mais Giovanpaolo a déjà parlé de « la liberté de toute l’Italie, » à quoi César réplique qu’il n’a l’objet que de la fonder en éteignant les tyrans ; et déjà peut-être Machiavel rêve-t-il que celui-ci est le Prince qui vient délivrer l’Italie des barbares. Les tyrans éteints, l’Italie libre, la patrie, le Prince : quelque chose se défait et se refait dans le monde.

Florence ne fait rien et ne se donne même pas, suivant le conseil du secrétaire, l’air de faire quelque chose. César pourtant ne se fatigue point de l’en presser en appelant à la rescousse tout ce qui peut lui être un argument ou un auxiliaire ; il appuie sur tout ce qui fait ressort : le penchant et l’aversion, l’ambition et la jalousie, la cupidité et la peur. C’est tantôt une lettre de Sienne, et tantôt ce sont des lettres de France, dont, avec quelque mise en scène, il donne lecture à Machiavel. De Sienne on lui écrit — singulière coïncidence ! — que « les Orsini seraient ses bons amis s’il voulait renoncer à l’entreprise de Bologne et envahir l’Etat des Florentins ou celui des Vénitiens. » Mais sait-on à qui l’on s’adresse ? Lui, César Borgia de France, vexer de la sorte les Florentins ! Amis, ami. Ils n’ont pas de meilleur ami que lui, il ne veut pas de meilleurs amis qu’eux. « Tu vois avec quelle bonne foi je viens à vous et croyant que vous viendrez de bonnes jambes à être mes amis »… A propos, qu’est-ce que cette trêve de Florence avec Sienne ? Avec Sienne, où domine