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plus léger service et « maximisant » à ce sujet : « Quoique les choses soient petites, pourtant de choses petites se font les grandes, et les desseins des hommes se connaissent etiam in minimis ; » César ne lui en cédant pas un pouce et « madrigalisant » presque à la République florentine.

Mais cette condotta elle-même n’est qu’un moyen : le but est autre ; c’est bien ailleurs qu’est la pensée de César, et celle de Machiavel s’efforce à la dépister, à la rattraper, à l’accompagner. Le théoricien qui va naître fait tort au secrétaire, agacé de servir, sans en être récompensé ni toujours compris, dix bons bourgeois jouant aux « Magnifiques Seigneurs, » empêchés dans des formules et bourrés de recettes traditionnelles, qui ne veulent que ne pas vouloir, et font plus d’affaires pour une demi-douzaine de mulets dérobés que pour une atteinte réelle aux droits et à l’indépendance de la Cité. Il se féliciterait qu’on expédiât de Florence un ambassadeur, « homme de réputation, » plus gros personnage que lui, qui prendrait la suite des négociations. Lui, maintenant, il ne l’avoue pas à la Seigneurie, mais il est ailleurs avec César : il observe et il médite. Au surplus, de cet « ailleurs, » Florence ne saurait se désintéresser, et, étant là, il est au centre même de sa mission. Mais comme cette âme s’empare de la sienne, et comme il est l’homme de cet homme, ou comme cet homme est son homme ! Une activité inlassable du corps et de l’esprit ; une attention indéfectible à laisser le moins possible au hasard dans la conception et dans l’exécution. Si César passe une revue, il examine les soldats un à un. Il faut qu’il voie tout, qu’il sache tout, et qu’il s’explique tout. Sa tête est comme une meule qui broierait continuellement les actes pour en découvrir les mobiles ; et les choses ne lui sont de rien sans les raisons des choses. « Je devine ce qu’il en est. Cela signifie qu’il veut pouvoir (Vitellozzo) s’excuser devant tous d’être traître envers moi, ce qu’il ne pourrait faire s’il m’attaquait avec les gens que j’ai payés. » Ou bien : « Tes seigneurs ont eu deux motifs de ne pas envoyer de troupes dans les environs de Vitellozzo : le premier, les ordres du Roi à attendre ; le second, peu de monde, et beaucoup d’endroits à garder. Je résous ces deux motifs de cette manière. (Voilà déjà la pensée qui se transforme en action.) Quant au Roi, tu peux assurer, — car j’en suis plus certain que de la mort, — que Sa Majesté voudrait que tout le peuple florentin vînt en personne à mon