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déjà « tâtée » et sollicitée. Mais les Dix, ayant pris le vent, se sont hâtés de renvoyer Machiavel au duc de Valentinois pour l’assurer de leur dévouement au roi de France et de leur inclination envers lui-même. Au dilemme posé par César : Amis ou ennemis, ils répondent : Amis ; mais c’est une amitié in generalibus, et César veut plus que des generalia. Entre Machiavel et lui, tout le débat va porter là-dessus, au moins pendant le premier mois de cette légation qui durera trois mois et demi. Pendant ce premier mois, en octobre, le secrétaire florentin aura du duc onze audiences ; il n’en aura plus que sept dans tout le reste de son séjour, deux en novembre, deux en décembre, et trois en janvier 1503, après l’inganno de Sinigaglia ; soit que César eût bien vu que Florence ne lui envoyait que des mois, et qu’on ne conclurait rien, soit qu’il eût la pensée ailleurs ; et Machiavel voit bien où il l’a. Mais, au début, il est clair que César, lorsqu’il s’entretient avec Machiavel, se propose surtout deux choses : éloigner Florence de ses adversaires à lui, l’empêcher de les rejoindre, aider, favoriser, ou encourager ; s’il se peut, l’attirer à lui, la tenir ; en tout cas, se concilier sa sympathie, charger les collegati de son ressentiment ou de sa méfiance, et ramener à désirer ce que justement il est en train de combiner.

Le 7 octobre, Machiavel se présente à lui, au débotté ; selon son usage et sa rhétorique ordinaire, le duc lui fait le meilleur accueil, le traite « amoureusement. » Mais des complimens ne suffisent pas : sans délai, les épées s’engagent entre les deux maîtres escrimeurs. César attaque : « Je vais te faire une confidence. Les Orsini et les Vitelli ne valent rien pour vous. Ils trament contre Florence de mauvais desseins. Si jusqu’ici ils ne vous ont fait pis, c’est que je les en ai détournés. Et c’est bien de cela qu’ils se vengent ! Ils m’en veulent, à cause de vous, autant qu’à vous. Je n’ai pas été prévenu de l’affaire d’Arezzo, mais, pour être franc, je le répète, je n’en ai point été fâché, comme d’un moyen d’ouvrir les yeux à la Seigneurie. Néanmoins, j’ai mandé à Vitellozzo de se retirer d’Arezzo. Il ne me l’a pas pardonné. » Dédaigneux et amer, César le prend de haut avec les condottieri : « Diète de faillis ! » s’écrie-t-il, à propos de la réunion de la Magione. Ils sont plus fous que je ne pensais de « n’avoir pas su choisir le temps de me nuire » et prétendre le faire « tandis que le roi de France est en Italie et du vivant de Sa Sainteté ; deux choses qui me font tant de jeu