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affaires font aussi bien, si la sécurité générale est aussi grande, si les alliances sont aussi solides, enfin si on peut envisager l’avenir avec la même confiance. Quel pays n’a pas éprouvé des crises morales du même genre ? Elles ont toujours des causes qu’il faut prendre du sérieux, mais qu’on aurait tort de prendre au tragique, et personne ne va jusque-là en Allemagne. L’Allemagne sait bien qu’elle n’a rien perdu de sa force et que, au surplus, toute l’Europe est pacifique comme elle l’est elle-même. Elle éprouvé néanmoins une certaine irritation de voir que les autres vivent, s’arrangent, se groupent en dehors d’elle. Pour la première fois dans la presse, et même au Reichstag, la responsabilité d’une politique où l’on n’a pas trouvé seulement des satisfactions a été attribuée directement ou indirectement, mais très clairement, à l’Empereur ; et le chancelier de l’Empiré s’est cru obligé de prendre sa défense en invoquant les droits que la Constitution donne au souverain. C’est là une chose nouvelle en Allemagne : nous la signalons sans y insister.

La réponse de M. le prince de Bülow aux interpellateurs a montré tout de suite que sa santé était pleinement rétablie. Jamais sa parole n’avait été d’un tour plus vif, plus aisé, plus piquant. Les anecdotes et les mots d’esprit y abondent. Il semblé bien toutefois, d’après l’effet produit, que ce n’est pas là précisément ce qu’on attendait. Nous parlons de l’effet produit en Allemagne : dans le reste de l’Europe, où on était sans doute disposé à se contenter à meilleur compte, l’accueil fait au discours du chancelier a été meilleur, bien qu’il soit resté réservé. Réservé, comment aurait-il pu ne pas l’être ? Nous en jugerons d’abord, comme il convient, par notre cas.

Certes, le patriotisme le plus délicat, et même le plus chatouilleux, ne pouvait prendre qu’en très bonne part la manière dont M. de Bülow a parlé du nôtre, il ne s’est pas contenté de lui rendre justice, il l’a donné en exemple à l’Allemagne, en exprimant le désir qu’elle s’en inspirât à l’occasion. Mais, si M. de Bülow connaît l’ardeur du patriotisme français, il en connaît aussi les susceptibilités et, très loyalement, il les a déclarées légitimes. Il a passé plusieurs années à Paris peu de temps après la guerre ; il a vu nos hommes politiques ; il s’est entretenu avec Gambetta et il a rapporté sur lui des souvenirs pleins d’intérêt. Ceux qu’il a laissés lui-même, parmi nous, nous sont de sûrs garans qu’il n’a pas de mauvais sentimens à notre égard. Il sait ce que nous sommes, et il admet volontiers, tout en le regrettant sans doute comme nous le regrettons nous-mêmes, qu’il ne puisse y avoir entre les deux pays que des rapports corrects. Cette loi des rapports corrects, il