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paisible d’abord, puis agitée par le plus banal orage. Au cours de ce voyage cinématographique, les Cyclades sont appelées par le pilote et doublées par le navire avec une invraisemblable rapidité. Délos, Lemnos, Paros, Andros et les autres se succèdent de minute en minute. Si voisines qu’elles soient en réalité, le poète n’a tout de même pas assez gardé les distances. Détournée de la route d’Athènes, la galère nuptiale aborde heureusement à Naxos, sous le ciel et sur les flots apaisés.

Le troisième acte noue le drame, et d’un nœud qui ne manque pas de force. Le revirement du héros quittant Ariane pour Phèdre, les confidences et le recours de l’une, qui soupçonne et s’alarme, à l’autre, qui refuse d’abord et puis promet son secours ; l’éclat, plus brusque chez Thésée, et, chez Phèdre, plus longtemps retenu, de la passion enfin victorieuse, tout cela est bien traité, bien conduit, tantôt avec vigueur et tantôt avec délicatesse, comme action du moins et comme mouvement, car nous ne parlons toujours pas des paroles et pas encore de la musique.

Ariane a surpris les amans et tombe, inanimée. Ils s’éloignent et la lyre, le chant des vierges ses compagnes, la rappelle doucement à la vie et à la douleur. Douleur indulgente, imprudente même, et dont la suite fera trop voir la généreuse illusion. Voici que Phèdre est morte, écrasée par la chute d’une statue d’Adonis, qu’elle avait maudite et frappée en sa fureur. Ariane aussitôt (c’est le quatrième acte, superflu comme le second), Ariane, tendre sœur plus qu’épouse outragée, ira, par la faveur de Vénus, avec les Grâces pour guides, chercher la chère coupable jusqu’au pied même du trône de la sombre Perséphone.

Cinquième acte : elle la ramène à la lumière, mais, hélas ! à l’amour, à la faute, et Phèdre ne revit que pour retomber dans les bras que lui rouvre un héros aussi faible qu’elle-même. Convaincue enfin par cette seconde épreuve et lasse de lutter, sinon de pardonner encore, Ariane, que les Sirènes appellent, va les rejoindre sous les flots, et la même galère emporte le même amant, avec une autre amante, vers Athènes où les attendent de nouveaux et non moins tragiques destins.

Voilà pour les faits. Quant aux personnages, dans une œuvre, ne fût-ce que dans un livret d’opéra, de M. Catulle Mendès, ils ne sont pas « ce qu’un vain peuple pense. » Ils sont et surtout ils signifient davantage. Ils s’élèvent plus haut qu’eux-mêmes ; ils s’enfoncent aussi plus bas. Représentatifs et symboliques, ils ont à la fois des dessous