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couste rien au Roy et que les officiers s’en puissent plaindre. Il ne faut qu’estre un peu exact. »


Etre exact, — telle fut la qualité première, la qualité maîtresse de Le Tellier. Si nous pouvions davantage insister sur la tâche qu’il accomplit, ce serait, en beaucoup d’autres détails, de tout ordre et de toute importance, cette exactitude que nous retrouverions en lui ; c’est elle qui, jointe à la sûreté de son jugement, à l’application de son esprit, à son étude assidue de toutes les questions inhérentes à une organisation aussi vaste et aussi complexe, par lui sans cesse accrue de rouages nouveaux et utiles, lui assure, dans l’histoire de l’administration militaire de la France, l’un des premiers rangs. Certes, comme nous l’avons dit, Richelieu avait, avant Le Tellier, réalisé des réformes capitales, et après lui, Louvois, avec sa haute intelligence, allait, s’inspirant de l’exemple de son père, les compléter et les parachever. Il n’en est pas moins vrai que la force d’abus invétérés et persistans, dans des troupes qui avaient jusqu’alors conservé un caractère semi-féodal, prévalait encore au point qu’une crise, telle que la Fronde, risquait de détruire l’œuvre du grand ministre de Louis XIII. Grâce à Le Tellier, qui maintint et développa, même alors, la tradition de Richelieu, il n’en fut pas ainsi. Par son patient effort, il réussit à faire de notre état militaire le premier de l’Europe. Il prépara ainsi pour la politique du prince, qu’on devait bientôt appeler le Grand Roi, l’instrument puissant que Louvois, son fils, et Barbezieux, son petit-fils, perfectionnèrent successivement jusqu’aux dernières années du XVIIe siècle. Quels qu’aient été les mérites, très inégaux, de l’un et de l’autre, ils ne furent, tous deux, que les héritiers et les continuateurs de l’œuvre dont Michel Le Tellier, maintenant mieux connu, doit désormais être considéré comme étant, après Richelieu, le véritable auteur.


ALPHONSE BERTRAND.