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mois durant, 12 000 hommes de pied et 3 000 chevaux. Les autres villes du royaume contribuèrent, depuis, à proportion, avec une grande promptitude. » On enrôla les laquais et les ouvriers qui témoignaient le plus grand enthousiasme. « Quand on leva des gens si à la hâte, dit Tallemant des Réaux, M. de la Force était sur les degrés de l’Hôtel de ville, et les crocheteurs lui touchaient la main en disant : « Oui, monsieur le maréchal, je veux aller à la guerre avec vous. » Ce furent là, dans l’ancienne France comme depuis lors dans la nouvelle, les grandes journées du patriotisme. Mais, dans les circonstances ordinaires, les levées d’hommes destinés aux armées étaient loin de s’opérer avec cet élan, cet enthousiasme. Presque toujours on enjoignait, par voie d’ordonnance, ainsi qu’on le fit en 1644, « aux déserteurs des troupes, vagabonds, gens sans aveu » de se présenter, dans les vingt-quatre heures, devant le prévôt de Paris. S’ils obéissaient, ils touchaient 12 livres à Paris, 6 livres en arrivant au lieu du rendez-vous, « et encore 8 sols à chacun tant à Paris qu’en marchant, pour leur donner les moyens de vivre. S’ils n’obéissaient pas, et qu’ils fussent pris, ils étaient envoyés aux galères. L’on conçoit combien laissait à désirer ce mode de recrutement et combien, le plus souvent, il y avait peu à attendre d’hommes rassemblés ainsi : « Pour ce qui est des levées, écrit Mazarin à Turenne en décembre 1644, vous savez aussi bien que nous ce que ce peut estre, et comme aprez beaucoup de dépense employée, tout cela revient à rien, » — la plupart de ces enrôlés par force s’empressant, si l’on voulait les envoyer au loin, de déserter au plus tôt.

Un des traits distinctifs de l’ancienne armée royale était de compter de nombreux corps étrangers, composés de mercenaires, soldats de profession, se battant souvent très bien, mais fort exigeans en toutes choses, la question d’argent étant la seule qui les déterminât à servir. Les Écossais, les Irlandais, les Allemands, les Suisses furent les plus nombreux de ces mercenaires, véritables condottieri, qui suscitaient aux généraux des difficultés sans nombre, mais sur la fidélité intéressée desquels le Roi, aux époques troublées, croyait pouvoir compter davantage que sur celle des troupes françaises, souvent enclines à prendre parti pour leurs chefs, qui les entraînaient à leur suite dans de fréquentes rébellions, quand ils s’appelaient Guise, Montmorency ou Condé. Lorsque Le Tellier devint secrétaire d’Etat, les