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occasions de conflit ; il régla définitivement l’ordre dans lequel devraient désormais, sous des peines sévères, marcher les divers corps, instituant ainsi entre eux une égalité de traitement aussi grande qu’il était possible sous l’ancien régime.

Tout en maintenant la fâcheuse pratique de la vénalité ou de l’achat des grades, que l’on considérait alors comme une ressource indispensable au Trésor et aussi comme un moyen d’influence et d’enrichissement pour les hauts personnages, Le Tellier s’efforça de restreindre les inconvéniens de ce système en subordonnant à des conditions de capacité et de durée de service la nomination aux divers grades.

Où il réussit entièrement, ce fut dans l’établissement d’une discipline qui n’existait guère avant lui et qu’il parvint, à force de tact et de méthode, d’énergie et de persévérance, à rendre de plus en plus respectée. Impitoyable pour les fraudes qui, jusque-là, dans des proportions scandaleuses, affaiblissaient l’effectif de l’armée ou qui discréditaient son commandement, il n’hésita pas à frapper, à casser même, sans distinguer entre les anciens régimens et les nouveaux, les officiers qui contrevenaient aux règlemens ou aux ordres du Roi. Très rigoureux dans l’application des châtimens qu’il jugeait nécessaires, il tint la main à ce que les généraux ne fissent pas de leur autorité un abus qui la rendrait odieuse à leurs subordonnés et à leurs soldats. Relevant sévèrement les fautes graves commises par l’un d’eux, il n’hésite point à lui écrire : « … Vous avez fait dire à aucuns d’entre eux (les cappitaines de votre régiment) qu’ils eussent à se deffaire de leurs charges, bien qu’on ne puisse les taxer d’aucun manquement à leur debvoir soit pour le service de Sa Majesté soit en vostre endroit. Et vous sçavez combien des gens qui sont ou doibvent être établis par Sa Majesté se peuvent excuser de recevoir ces commandemens si ce n’est d’elle et combien ce procédé est capable d’apporter du dégoût non seulement à ceux qui ont eu à suporter ces menaces, mais à tous les autres. — Que vous avez fait passer par les armes plusieurs sergens et soldatz sans aucune forme ny figure de procès, qui est une chose inouye et plus capable qu’aucune autre de vous mettre tout le régiment sur les bras, estant raisonnable de faire punir ceux qui manquent et surtout les déserteurs ; mais aussy il est nécessaire pour votre descharge que ce soit avec les formes accoustumées et après qu’ils ont été condamnez par le conseil de guerre. »