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Tout autant que contre les pilleries des soldats le nouvel intendant sévit contre les malversations des chefs, résolu qu’il est, dit-il, à faire observer les ordonnances royales par tous, de quelque degré qu’ils soient. Très vite, il n’a pas de peine à constater que, là comme ailleurs, « il n’y a point de friponneries que les chefs ne fassent pour profiter de l’argent que le Roi leur ordonne : ils craignent le châtiment et n’ont pas du tout d’honneur. » A plus d’un demi-siècle de distance, ne croirait-on pas entendre Brantôme parlant des gens de guerre de son temps qui, disait-il, « regardaient plus à piller, dérober, larronner et faire leur profit qu’à gaigner de l’honneur ? » C’était des mêmes causes, d’ailleurs, que provenaient les mêmes méfaits, car, ajoutait l’écrivain du XVIe siècle, « la raison en est qu’ils n’ont plus de règle, n’ont plus d’obéissance et, sur ce point, ils allèguent qu’ils ne sont plus payés et ne reçoivent plus une seule solde du roy. »

Telle était aussi l’explication, sinon l’excuse que les soldats de l’armée de Piémont donnaient de leur conduite : il leur fallait subsister, même quand on ne les faisait pas vivre ; et comment dès lors les pouvait-on punir de s’en procurer les moyens ? Tous les efforts de Le Tellier, quelle que fût la gêne où le réduisaient parfois la pénurie du Trésor et l’insuffisance des subsides qu’il en recevait, tendirent à faire cesser cet état de choses, d’autant plus fâcheux que les exactions commises par les troupes, en soulevant les haines du pays occupé, les exposait elles-mêmes, en cas de défaite à de terribles représailles. « Si vous souffrez, écrit-il à Des Noyers, le 14 septembre 1642, que l’armée vive absolument aux dépens du pays pendant l’été, laissant la licence de prendre des vivres comme on est obligé quand on n’a pas d’argent, il ne se trouvera ni denrées, ni argent, et même les officiers voyant qu’ils n’auront pas eu leur compte pendant la campagne, quelque soin qu’on y prenne, presseront extraordinairement les habitans pour recouvrer ce qu’ils auront emprunté, suffire à leur quartier d’hiver à la campagne prochaine, ce qui les désespérera à tel point qu’ils déserteront et se retireront dans les montagnes comme ils ont fait. »

On voit à quel point, dans l’accomplissement de la mission que lui avait confiée Richelieu et qui le fit entrer en relations directes avec Mazarin, le futur secrétaire d’Etat de la guerre se montrait actif, avisé, clairvoyant. Dans cette armée d’Italie isolée et quelque peu délaissé, il prit, avec une netteté que traduit