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de Fatoume ?… Tout cela passa si rapide, pareil aux visions des rêves. Ce cœur qui ballait, le cœur de Fatoume ?… Et ce corps souple et pliant que moi aussi j’avais serré ?…

Pas assez bien serré, — car il glissa de mes doigts tremblans ; il s’enfuit, il s’évanouit, invisible dans la nuit ; — et pourtant, mes yeux s’imaginèrent distinguer deux claires silhouettes. Fatoume, et une autre ? Je n’en sais rien, vous dis-je. C’était fini, c’est fini. Ne me parlez point, vous non plus, madame, d’unir sérieusement deux êtres de races si différentes. Votre serviteur sera toujours un Roumi, — un Européen, un Français, un Parisien du XXe siècle, un moderne modernisant. Et toujours elle sera la fille des vieux Chaldéens, des peuples errans d’Arabie, cette « beauté » qui voulait m’aimer, et qui sans doute dort là-bas, sous la blancheur de ses voiles, derrière la blancheur des murs crénelés, pendant que je vous écris ceci.

Hélas ! se « comprendre » entre femme et homme, chose si difficile déjà dans le cas le plus normal !… Et quand nous avons devant nous une autre origine, un autre sang, une autre religion, d’autres préjugés !… N’insistez point, madame, ni vous, ni Lella Yamina :

— N’en parlons plus.

Terminons cet épilogue, — un épilogue sans conclusion, je le reconnais. Mais rien ne conclut en ce monde. L’espoir et le découragement, la tristesse et la joie sont les molécules éparses de la vie, comme les grains de sable légers sont les fragmens du Sahara. Et nous devons cependant trouver l’apaisante — ou l’amère — résignation.

C’est la grâce que je vous souhaite, madame. C’est le vœu que contenait la dernière parole de Fatoume… ou de ma « beauté. »

— Avec la paix ! Beslama !


Jean Pommerol.