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mobiles d’action, et l’histoire ne nous a pas montré comment, en se « dénaturant » ou en se « vulgarisant » pour s’approprier aux exigences « populaires, » elles conservaient cependant leur vertu.

C’est en ce sens, et de ce point de vue que l’on peut dire, en revenant au livre de M. Roustan, qu’à la vérité nous savons, ou nous ne sommes pas très éloignés de savoir tout ce que nous pouvons savoir sur les « rapports des philosophes » avec les salons ou les favorites, et de ce genre de recherches, — il est très bon d’en avertir les gens, — on ne nous rapportera désormais rien que d’ « anecdotique, » et de négligeable en un sens. Que pourrions-nous faire d’une anecdote de plus sur l’égoïsme de Fontenelle, ou sur l’avarice de Voltaire ? Les rapports des philosophes avec le pouvoir, ou avec une petite bourgeoisie « qui travaille de ses mains pour vivre, » nous étaient moins connus, et même je crois avoir montré que l’on se méprenait sur la nature des premiers. Le livre de M. Roustan, à cet égard, nous aura certainement appris beaucoup de choses. Mais c’est assurément sur la question des « rapports des philosophes avec le peuple » qu’il est, si j’ose ainsi dire, le plus « renseignant » et le plus « suggestif. » Oui ! dans quelle mesure « l’opinion gouverne-t-elle le monde ? » Combien connaissons-nous d’exemples de « philosophes » qui aient fait « changer l’opinion universelle ? » Un Voltaire même a-t-il le droit de dire : « J’ai fait plus en mon temps que Luther et Calvin ? » Où sont les preuves que « l’opinion universelle » ait changé, je dis d’un iota, sous l’influence de la philosophie ? Jusqu’à quelle profondeur a-t-elle pénétré dans le peuple ? et pour quelle part enfin, puisque c’est de là que nous sommes partis, son influence est-elle saisissable dans l’histoire de la Révolution ?

À cette dernière question, et même aux précédentes, puisque M. Roustan fait à peu près les réponses que nous indiquions il y a vingt-huit ans, nous ne les trouverons pas mauvaises ; et ces quelques points sont de ceux où nous n’avons point changé d’avis. Laissant donc de côté le problème général, philosophique et historique, de la « communication » des « idées, » et de leur transformation en faits, nous dirons, aujourd’hui comme alors, qu’on ne saurait disputer aux « philosophes » en général, et particulièrement aux « encyclopédistes » l’honneur, si c’en est un, ou le blâme, si l’on veut les en reprendre, d’avoir été au premier