moins. Mais tout ce qu’il était possible d’invoquer à la décharge de la jeune femme pour justifier ce pardon, Mme de Vence, s’il n’en savait rien, dut le lui apprendre. On aimerait à louer ses réponses, si elles ne se louaient mieux d’elles-mêmes : les voici :
Que je vous plains, monsieur, et que votre état est digne de pitié. Par quel malheur cette fatale lettre est-elle tombée entre vos mains ! Elle va empoisonner pour jamais votre vie et celle de votre malheureuse femme que je plains encore plus que vous, puisqu’elle est condamnée au plus affreux tourment qui est celui du remords. N’aggravez point ses peines, en lui laissant connaître l’étendue des vôtres. Songez qu’elle est plus malheureuse que coupable, plus faible que criminelle, et que vous l’avez vous-même exposée au péril où elle a fini par succomber. Ce n’est pas que je prétende justifier ses torts, je suis sûre qu’elle en connaît aussi bien que moi l’étendue, et qu’elle déteste présentement le séducteur qui lui ravit à la fois sa propre estime et celle de son mari ; mais plus sa faute est impardonnable, plus vous aurez de mérite à la pardonner. Vous vous assurerez à jamais par là son amour, son respect et sa reconnaissance, et tous vos droits en acquerront de nouvelles forces. Que vous reviendrait-il de perdre une infortunée dont les sens ont sûrement été plus séduits que le cœur, et qui n’a trouvé dans son éducation aucun principe qui lui apprît à être en garde contre elle-même ? Depuis qu’elle est née, elle n’a eu sous ses yeux que de mauvais exemples. Vous avez cherché vous-même à détourner le peu de religion qu’on lui avait apprise au couvent. Il en est arrivé ce qui arrive aux trois quarts des femmes qui ne diffèrent de Mme de Mirabeau que par un peu moins d’imprudence. Mais je sens qu’il est affreux d’en avoir la certitude, et de ne pouvoir se dissimuler ce que tant d’autres font semblant d’ignorer. Ce dernier malheur vous était réservé, mais songez que vous travailleriez encore à l’augmenter, si vous faisiez celui de votre femme. Votre conduite vis-à-vis d’elle est admirable jusqu’ici, continuez de même, je vous en prie. Ayez l’air d’oublier ce dont elle ne se souviendra que trop. Que votre colère tombe entièrement sur l’infâme suborneur qui l’a séduite ; mais ne voyez en elle que la mère de votre fils, qui emploiera tous les momens de sa vie à vous faire oublier sa faute. Je ne prétends point la diminuer. Faites cependant, je vous prie, un peu de réflexion sur le peu d’égalité que le préjugé a mis entre le mari et la femme, et combien il est peu dans la nature que ce qui est permis à l’homme soit si rigoureusement puni chez la femme, qui ne fait souvent que suivre l’exemple que son mari lui a donné. Ne croyez pas que j’en conclue que Mme de Mirabeau en soit moins coupable, ce n’est point d’après mes principes que je raisonne, mais seulement d’après ceux que doit inspirer le défaut de religion. Je crois peu à la vertu des femmes qui n’en ont point, et vous avez eu grand tort de la détruire chez la vôtre. Le malheur qui vient de lui arriver la rappellera chez elle. Laissez-lui cette consolation ; je voudrais être à portée de vous en procurer ; mais je sens que dans l’état où vous êtes, il en est peu d’efficaces ; je ne puis que vous assurer de toute la part que je prends à vos peines. Ne craignez pas de me les confier. Elles seront ensevelies dans le