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modération personnelle à moi qu’il a mise dans tout ceci n’ajoute à ma conduite que la prière que je vous fais de ne pas revenir dans ce pays-ci tant que nous y serons, autant parce qu’il n’est plus possible que je vous voie qu’à cause de mon mari. Nous y serons le moins de temps possible. Je vous rends trop de justice pour croire que j’aie besoin de vous demander les deux lettres que vous avez à moi ainsi que mon portrait, et celle-ci. J’espère que vous voudrez bien me les faire parvenir. — Manosque, le 28 mai 1774.


Lorsque cet aveu fut produit publiquement, en 1783, par Mirabeau, Emilie protesta qu’il lui avait été arraché par la violence. Mais l’examen de cette pièce, qui est en original sous nos yeux, nous empêche d’ajouter foi à son dire. Elle l’écrivit sans un tremblement, sans une pause. Tant d’assurance ne pouvait être de la stupeur : était-ce de l’inconscience ?… Il est admissible plutôt que, le premier moment de terreur passé. Emilie, avec la promptitude et l’élasticité ordinaires de son esprit, avait mis en balance sa faute et ses excuses : faute unique, tandis que celles de son mari étaient innombrables ; faute dont elle était repentante, tandis qu’il demeurait incorrigible. Elle pesa aussi la valeur du pardon qu’il lui octroyait ; et elle dut juger que ce pardon était feint, intéressé, obligé. Feint, car si Mirabeau devait détruire, sur le conseil de Mme de Vence, la lettre révélatrice de M. de Gassaud, il entendait ressaisir et conserver par devers lui son billet d’aveu à elle ; et de fait, quand ce billet lui eut fait retour, il le contresigna en première et en dernière ligne : « Mirabeau fils ne varietur, » et il le mit en lieu sûr. Intéressé, car il pardonnait pour être pardonné, et surtout, pour se faire auprès de ses père et beau-père une solliciteuse et une avocate infatigable de sa femme qu’il menacerait de déshonorer, dès qu’elle ferait mine de le desservir. Obligé, car il ne pouvait ébruiter sa disgrâce conjugale sans déconsidérer l’enfant dont Emilie était grosse, sans se séparer d’une épouse dont la fécondité était son unique garantie contre les persécutions de son père, sans perdre la seule espérance qui lui restât de rétablir un jour, avec la fortune immense de M. de Marignane, la fortune délabrée de sa propre maison.

Mirabeau avait envoyé à Mme de Vence la lettre du mousquetaire, en lui demandant conseil sur la vengeance qu’il devait tirer des coupables. Mais il avait adopté le parti de la mansuétude avant que Mme de Vence lui répondît. Il était certain qu’elle ne lui en proposerait point d’autre, à l’égard d’Emilie tout au