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feignit d’être malade et annonça qu’il passerait la soirée dans son appartement. Emilie lui fit apporter à souper et s’enferma avec lui. Le remords et le dépit de sa brutale conduite le jetèrent dans une colère pire ; il se répandit en injures contre Emilie ; il la bouscula, l’effraya : elle poussa des cris qui attroupèrent les paysans en train de danser et de faire ripailles autour du château. Ils avertirent M. de Marignane qui accourut, appelant sa fille et lui ordonnant de le laisser pénétrer chez elle. Mirabeau reprit aussitôt assez de sang-froid pour convaincre Emilie de répondre que tout se passait en plaisanteries ; M. de Saint-Cézaire, sans rancune, en certifia, quoique de sa chambre voisine il eût bien perçu d’autre bruit. Peu de temps après, M. de Marignane conduisit ses enfans à Tourves, chez le comte de Valbelle. La cour d’amour, si l’on en peut croire Emilie, fut scandalisée plusieurs fois des procédés furieux que Mirabeau avait l’art d’entremêler aux plus tendres protestations. Enfin le comte et la comtesse, sans plus de suite que leur livrée, s’en furent visiter Marseille, Toulon, Hyères où le marquis de Mirabeau avait gardé une maison, et, de là, ils se rabattirent sur le château de Mirabeau. Ils y entrèrent en carrosse, entre deux rangs de paysans porteurs de torches, par une route en lacets taillée dans le rocher et qui ne servit guère que dans cette occasion. Il n’en coûta pas peu d’y égayer à leur tour tous les vassaux de l’Ami des Hommes, d’une façon qui fit honneur à « la plus riche héritière de Provence en perspective. » En arrivant sur ce domaine, le comte trouva, au lieu des secours de son père qu’il avait escomptés, un grimoire de son notaire Raspaud qui mettait à son passif une grosse somme pour frais d’actes. De ce moment, la gêne, le ressentiment, le respect humain, le jetèrent dans une sorte de manie des grandeurs, qui s’exaspéra de tout ce qu’on lui opposait pour la refréner.

M. de Marignane, mis au courant de ses premiers désordres, lui avait fait doucement entendre de premiers reproches. Il lui écrivait le 24 septembre 1772 :


Mon cher fils, j’ai été un peu étonné d’apprendre de vos nouvelles par Marseille vous croyant à Mirabeau. Vous vous y êtes amusé, cela est à merveille. C’est aux finances à se prêter à tous ces petits voyages quand nous en avons fantaisie, et non à nous à se prêter à nos finances. Tout cela est égal au bout de l’an, je m’entends, cela est égal si après avoir été sémillant, brillant, courant pendant un mois, on sait se reposer pendant onze.