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que le sourire léonardesque vient de Verrocchio. Le groupe de Jésus et de Saint Thomas réalisait un idéal plus complet encore. La beauté virile s’y présente, avec une noblesse, une aisance, une intensité d’expression qu’on ne dépassera guère. Ce chef-d’œuvre fut l’adieu du grand maître à sa patrie. Verrocchio partit, quelques jours après ; pour Venise. La République l’y appelait pour exécuter l’autre grand chef-d’œuvre de la Renaissance, la statue équestre de Colleone dont il avait achevé le modèle deux ans auparavant ; il n’en devait pas revenir. En même temps, son élève favori, Léonard de Vinci, sans emploi dans son pays, s’expatriait à Milan. Le champ restait libre à ces jeunes maîtres, Botticelli, Pérugin, L. Signorelli, D. Ghirlandajo.

De ces quatre grands artistes, c’est toujours Botticelli, plus mêlé à la société littéraire et mondaine, d’une imagination plus vive qui apportera dans l’expression de la forme et de la physionomie humaines, le plus de sensibilité, toujours sincère et grave, avec un fond grandissant de mélancolie, tantôt demi-souriante, tantôt abattue, parfois un peu morbide, et qui finit par s’exaspérer jusqu’à la douleur poignante et criante. La suite des chefs-d’œuvre religieux et profanes qu’il exécute durant dix années, porte partout cette marque d’inquiétude subtile et hautaine, et les nobles créations qu’il évoque, s’y offrent avec l’irrésistible attrait d’êtres supérieurs et rares, et qui vont bientôt mourir. Pour Laurent, ou pour l’un de ses cousins, s’achèvent l’incomparable, le mystérieux Printemps et la Naissance de Vénus, pour Fabio Segni, la Calomnie, pour les Tornabuoni, Giovanna et les Vertus ; dans les églises, à S. Spirito, à S. Barnabé, la Vierge entre les Saints, au couvent de Castello, l’Annonciation, etc. Dans les scènes païennes, comme dans les scènes chrétiennes, la figure féminine, habillée ou nue, transposition évidente de figures réelles et proches, distinguées et pensives, prend un caractère de plus en plus délicat et soucieux qui va tourner à la souffrance et au désespoir. La Vénus elle-même, et les Trois Grâces, dans leurs élégances sveltes et sous leur lent sourire, sont des déesses désillusionnées, l’Annonciation, la dernière en date (1490) des scènes évangéliques, marque déjà, par l’accentuation passionnée, l’ampleur agitée, la solennité anxieuse des gestes et expressions dans le duo silencieux des deux interlocuteurs, la Vierge et l’Ange, un pas de plus vers la violence dramatique. Nous touchons, en effet, aux catastrophes.