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des Stanze et des Sonetti allégèrent et illuminèrent les sveltes et gracieuses figures du Printemps, des Vénus, des Filles de Jéthro.

A l’heure même où l’image tendrement funèbre de la belle disparue hantait et inspirait l’homme d’Etat, l’humaniste et le peintre, un événement public, bien plus grave, changeait brutalement le cours de leurs pensées. Le 26 avril 1478, jour de Pâques, éclatait, dans la cathédrale, le complot des Pazzi. Julien tombait sous le poignard des assassins. Laurent ne leur échappait qu’à grand’peine. Sa popularité, naturellement, s’accrut de toute l’horreur de l’attentat. Le jour même, on vit l’archevêque de Pise et ses complices pendus aux murs du Bargello. Botticelli fut chargé d’y fixer, ad exemplum, suivant l’usage, leurs effigies. Son jeune camarade, Léonard de Vinci, fit le croquis d’un des suppliciés. Sous l’effroi de cette catastrophe. Politien laissa tomber sa plume, et Botticelli retourna, contre le mur, ses idylles amoureuses et printanières. Laurent, menacé par ses ennemis, à l’intérieur et à l’extérieur, n’eut pas trop de toutes ses ressources politiques, d’activité et de diplomatie, pour leur faire face. On sait par quel coup de tête et d’audace généreuse il alla, seul, à Naples, se mettre entre les mains du roi, son pire adversaire, et, par son éloquence, s’en fit un allié, suspendant ainsi, pour un temps, les calamités qui menaçaient l’Italie.

A travers toutes ces crises, Botticelli reste son peintre favori. C’est là qu’il faut vraiment admirer l’extraordinaire sensibilité et la constante sincérité du grand artiste. Son idéal de beauté, son idéal féminin, surtout, varie, se complète, s’affine, s’élève, s’anime, se réjouit, s’endolorit, sous le coup de ses émotions personnelles et des émotions publiques avec une vivacité croissante. Nous ignorons, par malheur, les détails de sa vie privée, sentimentale et passionnelle. Les documens nous disent seulement que cette existence, en apparence, resta toujours très simple, dans la maison paternelle, en un milieu bourgeois. Son père est tanneur, son frère aîné courtier, un autre orfèvre. Célibataire obstiné, il vit avec eux, entouré d’une ribambelle de neveux et de nièces, qui lui fournissent des modèles de tout âge pour les bambins potelés, les ragazzi joyeux, les giovinotti éveillés, les Anges, attendris ou pensifs, dont il peuple ses tableaux. A mesure que son esprit s’aiguise et s’enrichit, dans le milieu mêlé et suggestif des Médicis, où le scepticisme le plus hardi s’allie au mysticisme ; le plus subtil, où les dieux de