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impressions changeantes fut à la fois la cause de ses succès rapides, dans son milieu, et celle de sa longue déchéance après sa mort. Cet art, inquiet et subtil, était trop personnel, il datait de trop près pour ne pas se démoder promptement. Ce malheur lui arriva, de son vivant même, à l’avènement d’un style plus virilement soutenu. L’oubli de son génie rare, durant le triomphe de l’art classique et de l’art académique, fut la cruelle et injuste expiation de sa gloire contemporaine.

Landini nous a conservé le souvenir d’une excursion que Laurent et Julien firent dans le Casentino, à l’ermitage des Camaldules. On s’y rencontra avec Marsile Ficin et Alberti, et, durant quatre jours, assis sur l’herbe, près d’une source, à l’ombre d’un platane, on traita des questions philosophiques, de la Vie active et la Vie contemplative. Vers le même temps, c’étaient aussi sur les collines de Fiesole, avec leurs artistes et poètes, de fréquentes promenades. Les conversations y étaient moins graves. Ange Politien, l’adolescent prodige, y chantait le beau paysage et les belles paysannes. Laurent lui donnait la réplique et, passant avec désinvolture du précieux au burlesque, du lyrique au descriptif, du pastoral au lyrique, il les déconcertait tous par la versatilité charmante de son talent. En vrais Florentins, on riait, contait, se gaussait. L’un de ceux qui prêtaient bien le flanc aux moqueries, c’était ce bon Sandro, ce Botticelli rêveur, bayant aux corneilles, aussi naïf et distrait qu’autrefois le gros Masaccio, fantasque, capricieux, ami des franches lippées. Le surnom de Botticello (le Tonnelet), hérité d’un frère aîné, n’indique peut-être qu’un atavisme de bel appétit’, et de corpulence :

« Voici Botticel, dont la gloire est éclatante, Botticel, le goulu, plus tourmentant, plus gourmand qu’une mouche. De combien de ses farces je me souviens ! Qu’on l’invite à déjeuner, on ne parle pas à un sourd… Et il ne rêve pas en lapant. S’il est arrivé Tonnelet, il s’en retourne Tonneau plein


Va Botticello e torna Botte piena.


Il se plaint d’avoir le cou trop court, il voudrait celui d’une cigogne. Voyez, voyez, ce corps omnipotent, comme il dévore ! Une galère chargée en Orient n’en saurait porter plus. »

A ces plaisanteries de Laurent on peut juger de la familiarité établie entre eux Si grosse que puisse être la caricature, elle