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couleurs de sa dame, Lucrezia Donati. Vainqueur, il y reçut « un casque tout garni d’argent avec Mars en cimier, » par A. Pollajuolo.

Dans le portrait que Laurent a fait de Lucrezia, se définit l’idéal contemporain : « Sa beauté était admirable : de grandeur noble et décente, une teinte de chair blanche, non blafarde, vive, sans trop de feux ; l’aspect grave, sans morgue, doux et plaisant ; rien de léger ni de commun ; les yeux vifs sans trop de mobilité ; rien d’altier ou de vil ; et tout le corps si bien proportionné qu’elle se distinguait de toute autre par une dignité sans lourdeur ni froideur. Et, néanmoins, dans la marche, dans la danse, en tous les exercices où il est permis aux femmes de faire agir le corps, dans tous ses mouvemens elle était élégante et avenante. Ses mains, plus que toutes les autres, belles et fines. Ses manières, dignes et gracieuses, celles qui conviennent à une dame noble et de race. Sa parole, vraiment très douce, pleine de pensées ingénieuses et justes. Elle parlait à propos, bref et net ; l’on ne pouvait, à ses paroles, rien enlever, rien ajouter ; ses saillies et ses gaietés étaient fines et piquantes, doucement mordantes sans offenser personne. Un esprit de beaucoup plus merveilleux qu’il n’est besoin aux femmes. Tout cela, pourtant, sans arrogance ni présomption, et bien loin d’un certain défaut si commun à celles qui se croient très intelligentes et deviennent insupportables en voulant juger de tout, celles qu’on appelle vulgairement des précieuses faccenti. » Voilà bien le signalement de ces délicieuses créatures qui, bientôt, sous les pinceaux de Botticelli, Ghirlandajo, Filippino Lippi, vont s’avancer, d’un pas grave ou alerte, en leurs toilettes luxueusement modestes, sur les murailles ou les panneaux ! la Simonetta Vespucci, la Ginevra de Benci, la Marietta Strozzi, la Giovanna degli Albizzi, etc., etc. ! Quel plaisir de savoir qu’en toutes ces jolies têtes s’agitaient encore de fortes et délicates pensées, des sentimens élevés et sérieux, des gaîtés exquises et de tendres mélancolies, combien aussi de séductions le rythme de leur voix musicale ajoutait au rythme de leurs gestes élégans, de leur teint frais et pur, de leurs chevelures, si savamment tressées, de leurs brocarts et de leurs bijoux !

Quelques mois après le tournoi et le mariage de Laurent avec la Romaine Clarice Orsini, Pierre le Goutteux mourait en 1469. On sait comme, aussitôt, des délégués populaires vinrent offrir à Laurent la direction des affaires. On sait aussi comment