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par la nature, avec une inconscience féconde de sensibilité et une chaleur généreuse de talent qui font de lui le révolutionnaire le plus efficace dans cette insurrection des joies de vivre contre les mélancolies du moyen Age. Ses œuvres exécutées au palais de Cosme ont disparu, mais c’est pour les Médicis qu’il [joignit dans la cathédrale de Prato les grandes fresques qu’on y voit encore, Légendes de saint Jean-Baptiste et de saint Etienne. Dans ces admirables compositions, si bien présentées, si vivantes et expressives, tous les personnages, même les plus saints, sont des personnages contemporains. Lors même qu’ils s’ennoblissent, et manifestent, par des gravités d’attitudes ou des tendresses de gestes rarement égalées, le sentiment profond qui les anime, ils restent des Florentins et des Florentines. Leur beauté élégante et attrayante, comme celle des femmes, Salomé, Hérodiade et de leurs invitées mondaines dans le Festin d’Hérode, sérieuse et digne comme celle des hommes, prêtres, dignitaires, assistans dans les Funérailles de saint Etienne, est la beauté vivante et moderne. Jamais on ne lui avait donné avec plus de hardiesse et de franchise ses grandes entrées dans la peinture d’histoire : Gozzoli, Botticelli, Ghirlandajo sortiront de là.

Sans doute, en quelques-uns de ses célèbres Tondi, la Vierge de Filippo oublie parfois sa divinité pour sourire au passant, sous les traits chiffonnés de Lucrezia Buti, la novice enlevée à son pensionnat. Cette petite mère un peu poupine, si tendre avec son joli marmot, introduit, assurément, la coquetterie mondaine dans l’image de piété. Mais cette inconvenance est si passagère ! Par quelle affabilité familière et naturelle, par quelle douce candeur et ferveur souriante, presque comparables à celles de Fra Angelico, elle se fait, le plus souvent, excuser ! Y a-t-il rien de plus charmant et pur que ses Nativités et ses Annonciations ? C’est la jeunesse même, dans toutes ses fraîcheurs, c’est la vie avec toutes ses tendresses. Aussi l’Antiquité et la Science, qui allaient troubler et dessécher, autour de lui, quelques imaginations, ne touchèrent-elles ses yeux et son cœur, d’artiste que pour donner à son intelligence de la beauté une noblesse plus consente et une grâce plus délicate. A la fin de sa vie, tout son génie éclate dans cette immense vision, vraiment paradisiaque, du Couronnement de la Vierge, à Spoleto. Jamais Vierge plus pure et plus affable ne fut adorée par un cortège d’anges plus franchement aimables. Laurent, le petit-fils de Cosme, en élevant au peintre