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devient un modèle pour la jeune Renaissance française : Là se réunit, là discute et travaille, sous la protection indulgente et familière de patrons éclairés, toute la nouvelle génération, érudits, lettrés, artistes qui, par l’amour et l’étude simultanée de la Nature et de l’Histoire, l’amour du présent et l’admiration du passé, vont émanciper la pensée moderne et renouveler l’âme du monde.

Dès l’entrée, dans la cour, sous les galeries, des sarcophages et d’autres débris gréco-romains, recueillis par les ancêtres, accueillent les cliens et les hôtes, par ce sourire vénéré de grâce ou de grandeur auquel nul ne résiste. Sur les murailles mêmes, au-dessus, Donatello, le favori de la maison, revenant de Rome, en huit bas-reliefs, a sculpté des scènes mythologiques d’après les médailles de Cosme pour que ces libres traductions préparent les yeux à l’intelligence des originaux conservés dans le cabinet du patron. Dans la même cour vont se dresser, par les mains du même Donatello, vers 1435, le svelte et vif David, le jeune pâtre héroïque, souriant, doux vainqueur, sous son chapeau fleuri ; et, plus tard, la Judith tragique, égorgeant sans pitié Holopherne, sur ce piédestal ironique où se bousculent, en une folle sarabande, des Amours avinés. L’infatigable sculpteur, en pleine effervescence d’enthousiasme pour la vie et la beauté, peuplait alors, en même temps, de chefs-d’œuvre bien différens, la cathédrale républicaine (Danse des Anges sur les parapets de l’orgue) et l’église paroissiale des Médicis (Discussions des Docteurs sur les portes de la Sacristie, Tombeau de Jean de Médicis, etc.). L’intérieur du palais était plus riche encore que l’extérieur. Sur les murailles, les dossiers des stalles, sur les lits et coffres, Dello et d’autres avaient peint des fantaisies mythologiques, d’après les métamorphoses d’Ovide, Antonio Pollajuolo des luttes d’animaux et des combats d’hommes nus, etc., etc.

Tandis que les coryphées de l’école scientifique, anatomique, archéologique, faisaient du logis un panthéon éclectique, les servans fidèles de l’idéal mystique et de la poésie pure n’y étaient pas moins employés. Fra Angelico y précède Benozzo Gozzoli. Toutefois, l’enfant gâté de la maison, le bohême insouciant et prodigue qu’on y aime le mieux, pour lequel on a les plus grandes indulgences, c’est le moine émancipé, parfois défroqué, Fra Filippo Lippi. Celui-là mêle le profane et le sacré, transforme en vierges les amoureuses, fait bouleverser, les traditions