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sur la loi de séparation, les groupes se sont mis à la discuter aussi, et la discussion des groupes a paru tout d’abord plus intéressante que celle de la Chambre. Une opposition s’y est dessinée. Les mêmes hommes qui, la veille, avaient donné sans marchander leur confiance au ministère, lui manifestaient déjà de la défiance et prétendaient lui dicter des ordres. Il faut rendre au gouvernement la justice qu’il ne s’est pas laissé mener aussi docilement que l’espéraient ses « amis, » radicaux et radicaux-socialistes, à travers lesquels passe, comme on dit en style parlementaire, l’axe de la majorité.

Au point où en sont les choses, la question qui préoccupe le plus les esprits est de savoir ce que deviendront les biens ecclésiastiques en l’absence d’associations cultuelles pour les recueillir. Le 11 décembre prochain, ces biens seront mis sous séquestre jusqu’à leur attribution : mais à quel moment celle-ci pourra-t-elle ou devra-t-elle se faire ? D’après les prescriptions de la loi, combinées avec celles du règlement d’administration publique, le séquestre se prolongera pendant une année, à l’expiration de laquelle les biens seront attribués par décret aux communes pour être consacrés à des œuvres d’assistance ou de bienfaisance. Telle est, d’après le gouvernement comme d’après nous, la saine interprétation de la loi ; mais les groupes radicaux et radicaux-socialistes la contestent. À les entendre, la loi est formelle, et aucun règlement d’administration publique ne peut la modifier : c’est au bout du premier délai d’un an, c’est-à-dire le 11 décembre 1906, que les biens doivent être attribués sans rémission, soit aux associations cultuelles, s’il y en a, soit, s’il n’y en a pas, aux communes. L’interprétation du gouvernement semble permettre aux associations cultuelles de se former valablement pendant une année encore, et c’est seulement à l’expiration de ce second délai de grâce, ou de réflexion, comme a dit M. Briand, qu’il faudra bien prendre un parti définitif. Là-dessus les groupes sont entrés en campagne, on peut même dire partis en guerre, et les radicaux-socialistes, plus ardens que les simples radicaux, ont envoyé au gouvernement une délégation de quatre membres pour lui faire part de leur opinion, qui, présentée ainsi, devenait un ordre. Les quatre délégués sont restés assez longtemps en conférence avec M. Clemenceau et M. Briand. Quand ils en sont sortis, ils faisaient tous leurs efforts pour avoir l’air satisfaits : au fond, ils n’étaient que résignés. Le gouvernement n’ayant pas cédé, ils avaient jugé plus sage de battre en retraite. Ils se sont contentés d’enregistrer l’explication qui leur a été donnée, à savoir qu’à partir du 11 décembre prochain, le gouvernement serait juge et maître des