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d’abord celle de la famille. Le pater familias voit chaque jour disparaître un peu de sa toute-puissance de père, comme de son autorité de mari et de chef de maison. Il n’est plus souverain maître de ses biens et la loi restreint sa liberté de tester. La femme fait sa révolution. « Déjà (un siècle avant notre ère) apparaissaient les corruptions et les perversions qu’occasionne dans le monde féminin la civilisation mercantile, riche, cultivée et voluptueuse : la vénalité des femmes des classes élevées qui font entretenir leur luxe par des hommes riches ; l’ascendant des femmes intelligentes et corrompues sur les hommes affaiblis par les plaisirs et disposés à apprécier plus dans la femme le vice amusant que l’honnêteté ennuyeuse ; la chasse à la dot et la tyrannie exercée par la femme riche sur son mari besogneux ; le féminisme, c’est-à-dire la tendance des femmes à vivre comme les hommes, à étudier, spéculer, monter à cheval, jouer, faire de la politique. » La « femme nouvelle » a fait son apparition dans cette société en désarroi ; d’ailleurs on ne l’épouse guère, l’homme ne voulant plus subvenir aux dépenses d’un ménage et accepter la charge d’élever des enfans. Ceux qui ont commis l’imprudence d’aliéner leur liberté de célibataires, la reprennent en divorçant. On déserte la campagne pour se porter en foule vers les villes ; on répudie les travaux de l’agriculture, pour ceux moins fatigans et plus rémunérateurs du commerce et de l’industrie. Même dégoût du métier militaire ; l’aisance, la culture, en affinant les âmes, les avaient amollies. « A mesure que croissaient l’aisance, l’orgueil, les vices, la cupidité de cette oligarchie mercantile d’artisans, d’affranchis, d’entrepreneurs, d’armateurs, qui formaient alors le peuple romain, l’idée que le peuple devait être maître en toutes choses faisait de grands progrès : elle avait déjà détruit la discipline dans l’armée. » Les idées venues de l’étranger séduisent les jeunes gens et leur inspirent, avec le mépris de la tradition, l’orgueil de leur valeur intellectuelle. Les classes supérieures, absorbées par leurs affaires privées ou par leurs plaisirs, abandonnent l’État aux mains des politiciens professionnels. Ceux-ci ont intérêt à s’appuyer sur les ouvriers des villes et peu à peu le pouvoir de l’Etat grandit démesurément, s’augmente de tout ce que perdent les corps constitués et se dresse lui seul en face des individus réduits par leur émiettement à l’impuissance… Le désir de jouissances pénétrant toutes les classes, la puissance de l’argent se substituant à toutes les autres et faussant toutes les conditions de la vie, la dislocation de la famille amenée par l’abus du divorce et par les prétentions féministes, l’anarchie intellectuelle et morale, le