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Il faut l’entendre en ce sens que le mariage, par lui seul, n’atteint pas la condition juridique de la femme. Elle demeure donc maîtresse de tous ses droits. Ainsi elle peut ester en justice ; elle peut contracter : elle jouit de la complète liberté du travail, et choisit comme elle l’entend une profession ou un métier. Cependant l’exercice qu’elle conserve ainsi de ses droits peut, s’il est imprudent, porter préjudice au mariage lui-même. Il importe que ces imprudences soient dénoncées et que le mariage, en même temps que la femme, soit protégé. En Allemagne, le mari a le pouvoir de dénoncer le contrat : les féministes, qui combattirent énergiquement cette restriction, obtinrent seulement que ce pouvoir fût soumis à l’autorisation du « tribunal de Tutelle. » La femme ayant seule et librement contracté pour l’exercice d’une profession, le mari qui veut faire rompre l’engagement doit s’adresser au tribunal de Tutelle ; ce tribunal, — institution originale qui réunit les attributions de notre Chambre du conseil et de notre Juge de paix, — examine la demande du mari, les motifs qu’il allègue ; si la dénonciation est autorisée, il en résulte non pas une nullité de l’engagement jusque dans le passé, mais la rupture pour l’avenir. Il n’est pas possible de dire que la capacité de la femme et la liberté du travail soient sérieusement atteintes : en revanche, son intérêt et celui du mariage sont sauvegardés ; quant aux tiers qui ont traité avec elle, patrons ou directeurs d’entreprises, l’intervention du tribunal de Tutelle les garantit que le contrat ne sera pas rompu à la légère, et ils n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes s’il fut pour la femme dangereux ou lésif. — La Suisse, posant comme l’Allemagne le principe de la pleine capacité pour la femme mariée et par suite de sa liberté de travail, admet une restriction un peu différente : le mari peut faire défense à la femme d’exercer telle profession, et la femme a un recours devant le juge. Ceci se rapproche de notre procédure actuelle d’autorisation : le mari est d’abord sollicité, et s’il refuse, la justice peut prononcer. Mais avec cette ressemblance extérieure, il y a une profonde différence dans la réalité : en France, la femme demande aux tribunaux une mesure exceptionnelle, un échec à la puissance maritale ; en Suisse, elle réclame un droit, et c’est le mari qui, voulant une exception, doit la justifier. D’une telle restriction, on ne dira pas non plus que sa capacité soit vraiment diminuée.

Le mariage crée, avec la vie commune, des intérêts communs.