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les déclarer inaliénables sous le régime dotal, pour les laisser propres, à cause de leur valeur exceptionnelle dans les régimes communautaires. Le développement prodigieux de la richesse mobilière semblait ainsi contredire à toutes ses règles. Cependant, quant au régime dotal, l’idée de conservation se manifesta aussitôt avec énergie : la pratique étendit aux biens mobiliers l’inaliénabilité, et la jurisprudence déclara en effet la dot mobilière inaliénable. Quant à la communauté, elle affirma la force de son influence séculaire. L’importance respective du patrimoine commun et des propres se trouvait gravement changée par le fait d’un immense accroissement dans la valeur des meubles ; la communauté s’enflait sans mesure ; il eût été possible que, dans les liquidations, on cherchât, malgré la nette distinction du Code, à retirer du patrimoine commun, à réserver comme propres certaines des valeurs mobilières nouvelles, et même qu’on tentât une modification législative. Or il n’y eut point de ces essais ; le patrimoine commun se développa sans protestation avec la fortune mobilière. Il restait conforme aux sentimens de la bourgeoisie qui s’élevait, de garder commune la fortune créée par l’effort commun, et le régime de la communauté, qui aurait pu succomber à l’épreuve, en sortit plus robuste. Il subit cependant l’action des faits économiques, précisément dans la composition du patrimoine commun. Le Code ne connaissait l’activité des femmes du peuple que sous la forme ménagère, ou par le travail des femmes d’artisans, des paysannes. L’usine a offert aux femmes un travail nouveau où elles se sont employées par milliers. Leur activité, devenue créatrice, a apporté dans le ménage un produit nouveau, leur salaire. En même temps, le lien du mariage s’est distendu : l’homme surmené a voulu des excitations et des distractions ; parce qu’il dépensait trop souvent son gain au cabaret et que la femme était dépouillée de son propre gain, tombé en communauté, remis aux mains du mari, une tendance s’est peu à peu éveillée, répandue : la femme ne pourrait-elle pas sauver ce gain pour l’avenir, du moins le mettre un temps à l’abri ? De là est venue la loi de 1881 qui autorise la femme à se faire délivrer seule un livret de caisse d’épargne. Les droits du mari, chef de la communauté, sont maintenus : ce n’est qu’un dépôt, et, par une opposition à la Caisse, le mari peut s’en emparer. Mais en fait, il peut ignorer son droit d’opposition, ignorer même le dépôt qui par suite reste sauf ; en fait, la femme