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puissance maritale contre toute atteinte et à installer le mari « seigneur et maître de la communauté » a ici son excuse, sa raison d’être. Celui qui a le beau devoir de faire vivre le ménage, qui a créé le patrimoine commun par son travail, reste libre d’administrer cette richesse, de la modifier, de l’anéantir. L’œuvre de la femme, qui fut seulement de conservation, ne comporte pas de droits pareils, ni même aucun droit : sa récompense est assez forte, à la dissolution de la communauté, quand elle vient prendre la moitié du patrimoine commun. Dans les pays de droit écrit, avec le régime dotal, quel besoin la femme aurait-elle d’une part d’administration ou de direction, puisqu’elle se désintéresse de l’avenir patrimonial du ménage et qu’elle se borne, sa dot remise aux mains du mari, à s’en garantir par l’inaliénabilité la conservation intégrale ? Au surplus, en droit écrit ou en droit coutumier, elle peut bien, veuve ou fille, montrer quelques talens dans la gestion de sa fortune, mais en présence de l’homme ses talens ne sont jamais que ceux d’une « inférieure. »

Tels étaient les sentimens généraux et profonds des hommes sur l’épouse, son rôle et la conduite du ménage. Et ces sentimens d’autorité domestique, de supériorité virile se fortifiaient dans l’ancienne société française par le triomphe universel du principe même d’autorité. En acceptant ce principe comme base de son organisation politique, un peuple témoigne assez qu’il le reconnaît indispensable aussi dans les rapports sociaux, dans le mariage et la famille. Il se fait d’ailleurs comme une pénétration du dehors à l’intimité de la maison, de la vie publique à la vie privée de la nation ; les idées de puissance, de hiérarchie et d’ordre, qui sont inséparables, ne dominent point dans l’une sans dominer dans l’autre.


II

Tout cet édifice juridique du régime dotal ou de la communauté, et les idées d’autorité pour le mari, d’incapacité pour la femme qui en étaient l’armature, parurent crouler sous la Révolution. Les idées nouvelles, surtout les mots nouveaux, c’était liberté, égalité. La tentative de Cambacérès, pour doter le pays transformé d’une loi civile appropriée, s’étendit aux règles de la société conjugale. Son projet de Code civil proposait comme régime légal la Communauté, mais en spécifiant que « les