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nous fournit sur cette tentative d’intéressans détails, et les lettres que je possède confirment son récit, tout en le rectifiant sur des points secondaires[1]. Le beau-frère et le frère de Mme du Deffand, M. d’Aulan et l’abbé de Champrond, remplirent l’office d’ambassadeurs entre les deux époux. Leur tâche au début fut aisée : la marquise, comme j’ai dit, ne souhaitait autre chose qu’une réconciliation, et le marquis, toujours épris, se montrait prêt à risquer l’aventure. Mais Mme du Deffand, d’après les prudens conseils de l’abbé, aurait voulu quelque préparation, un « noviciat, » comme dit Mlle Aïssé, pendant lequel on se rencontrerait chez le tiers et le quart, sans reprendre la vie commune. « Elle ne comptait vivre avec lui que dans six mois au plus tôt, écrit l’abbé de Champrond[2] ; mais le mari n’était pas content de ce retard. Il en sera ce qu’il plaira au bon Dieu ! » Il fallut céder sur ce point à l’impatient marquis. Le mois de septembre 1728 vit le traité de paix signé, le ménage « rétabli, » si l’on entend par là qu’ils « dînaient et soupaient ensemble, » jusqu’à l’heure proche où renaîtrait une intimité plus complète. Les choses marchèrent d’abord au mieux : « M. et Mme du Deffand s’accommodent à merveille, s’écrie l’abbé sur un ton de triomphe[3]. M. d’Aulan est le confident de l’un et de l’autre et le médiateur. Je vous en écrirai davantage une autre fois. » « Ce fut la plus belle amitié du monde pendant six semaines, » appuie Mlle Aïssé. Toute la société parisienne applaudissait à ce touchant accord, et de toutes parts pleuvaient « les complimens. »

La lune de miel n’eut, hélas ! qu’un bref renouveau. Dès le milieu d’octobre, l’abbé commence à déchanter et doute visiblement de la solidité de son œuvre :


Ma sœur est toujours avec son mari, mande-t-il à Mme d’Aulan ; le ménage va assez bien, à quelque mauvaise humeur près. Je ne déciderai rien sur leur raccommodement que dans sept ou huit mois ; le temps fait tout. Ce raccommodement a été un peu précipité… En vérité, reprend-il plus loin,

  1. Notons entre autres cette erreur du récit de Mlle Aïssé : « Sa grand’mère meurt, écrit-elle, et lui laisse 4 000 livres de rente ; sa fortune devenant meilleure, c’était un moyen d’offrir à son mari un état plus heureux que si elle avait été pauvre. » Nous savons au contraire, par la lettre citée plus haut, que Mme du Deffand avait été déshéritée par la duchesse de Choiseul, et il est vraisemblable que le défaut d’argent eut quelque part à son désir de se réconcilier avec son mari.
  2. Lettre du 13 octobre 1728. — Archives de la Drôme.
  3. Lettre du 27 septembre 1728. — Ibid.