Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui semble non moins certain, c’est le mauvais souvenir que Mme du Deffand garda toujours de ses années d’enfance : « Je maudis bien mon éducation, s’écrie-t-elle. Oh ! je ne voudrais pas redevenir jeune à la condition d’être élevée comme je l’ai été… J’aurais tous les mêmes malheurs que j’ai eus[1]. » Sa condition, assez triste en effet, était celle d’une fillette délaissée par les siens, confiée, presque sans surveillance, à des mains étrangères. A treize ans, elle perdit sa mère ; son père, confiné à Champrond, ne venait guère à Paris ; la seule parente qu’elle vît était son aïeule maternelle, la duchesse de Choiseul, qui, remariée[2], lui accordait une attention distraite. Ses vingt ans étaient révolus, qu’elle était encore dans son cloître. Elle l’abandonna sans regret pour épouser, en 1718, le premier qui se présenta, qui fut son cousin issu de germain, Jean-Baptiste Jacques, marquis du Deffand de la Lande.

Ce dernier, âgé de trente ans, colonel de dragons, de bonne naissance[3], jouissant de quelque revenu et possesseur d’un château dans l’Orléanais, était, somme toute, un parti fort sortable. Le contrat fut signé, le 11 juin, dans l’après-midi, à l’hôtel de Choiseul, « rue Royale, paroisse Saint-Paul, » en présence de beaucoup d’illustres personnages, mais en l’absence du père de la fiancée, demeuré dans ses terres ; le comte de Vichy se borna à munir d’une procuration le sieur Arnaud, avocat au Parlement, qui le représenta à cette cérémonie[4]. Il ne daigna même pas se déranger pour le mariage, qui, le mardi 10 août, fut célébré dans l’église de Saint-Paul par l’archevêque de Sens, Bouthillier de Chavigny, oncle de Mlle de Vichy, après production d’une dispense pour cause de consanguinité[5]. Des grilles du couvent de Charonne, la jeune mariée sortit directement pour s’élancer vers les salons les plus élégans de Paris et pour briller à la cour du Régent.

  1. Lettre du 11 décembre 1767. — Éd. Lescure.
  2. Marie de Bouthillier de Chavigny, veuve du président Brulart, dont elle avait eu la comtesse de Vichy, avait épousé en secondes noces César-Auguste duc de Choiseul.
  3. Les papiers que j’ai sous les yeux contiennent une note, rédigée sans doute à l’époque du mariage, établissant que la filiation suivie de la maison du Deffand remonte à l’an 1400, mais qu’on trouverait sans doute des titres plus anciens encore « dans la terre du Deffand, située dans le Morvan, à quatre lieues d’Autun… »
  4. Contrat de mariage de Mme du Deffand. — Archives de la Drôme.
  5. Extrait du registre des mariages de la paroisse Saint-Paul, à Paris. — Archives de la Drôme.