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française, qui a proclamé l’égalité des Juifs avec les autres citoyens dans l’Etat. Conviction généreuse après tout ! Et ce Renan-là vaut bien celui de la précédente manière. Seulement, il oublie vraiment un peu trop son passé, et ne ménage pas assez les transitions. Rappelons-nous les assertions tranchantes de l’essai sur le livre de Salvador que nous avons reproduites en leur lieu, et, par exemple des phrases telles que les suivantes : « Je n’admets guère qu’à propos des Juifs on parle d’autre chose que de ce qu’ils ont fait. Depuis Jésus-Christ, les Juifs, selon moi, n’ont servi qu’à conserver un livre. Du jour où ils ont transmis la Bible hébraïque à la science européenne, du jour où ils ont appris l’hébreu à Reuchlin et à Luther, ils n’ont plus rien eu d’essentiel à faire ! » Et songeons aux protestations du discours d’ouverture, prononcé au Collège de France en 1862, contre l’« épouvantable simplicité » de l’esprit sémitique, dont notre progrès religieux doit consister à nous éloigner chaque jour davantage, parce que le christianisme n’a vaincu qu’après avoir « brisé son enveloppe juive. » Le point de vue de l’orateur s’est notablement déplacé depuis cette époque.

Élevons-nous d’un degré encore sur l’échelle des rétractations de Renan et voyons-le rayer des principes de sa philosophie de l’histoire le concept de la race en général, et de l’influence ethnique dans le monde. Son étude sur la Société Berbère[1] lui fournit déjà l’occasion d’affirmer sur ce point des convictions nouvelles. Il ne faut pas, dit-il, exagérer l’idée de race en matières d’histoire des mœurs. Pour ce qui concerne les lois et les coutumes, la race est primée par le genre de vie, et surtout par le degré de culture. Ce que nous savons de la constitution fédérale des Gaulois rappelle singulièrement l’état social qu’on rencontre aujourd’hui dans l’Afrique du Nord, car les races sont des moules d’éducation morale, plus encore qu’une affaire de sang. Les Souvenirs d’enfance[2] nous apprendront plus tard qu’ayant visité des tribus lapones en 1870, au cours d’un voyage entrepris en compagnie du prince Jérôme Napoléon, Renan crut retrouver parmi ces primitifs les types, les traits, les habitudes bretonnes. L’idée lui vint alors que, dans les temps antiques, il y eut peut-être mélange entre les conquérans celtiques et les peuples, analogues aux Lapons, qui couvraient

  1. Dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1873.
  2. Page 83.