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l’œuvre si laborieusement accomplie et pourrait même conduire à un échec définitif.

M. Chamberlain n’était pas disposé à assumer une responsabilité aussi grave, malgré les encouragemens des anti-fédéralistes qui lui adressaient d’Australie de très vives protestations. Il renonça donc aux amendemens qu’il avait préparés sur divers articles du projet, et concentra ses efforts sur l’article 74 qui, supprimant le droit d’appel au Conseil privé en matière d’interprétation de la Constitution fédérale et des Constitutions des États (quant aux rapports du Commonwealth avec les États et à ceux des États entre eux), lui paraissait inadmissible. Le droit d’appel au Conseil privé, de tout jugement, quel qu’il fût, était une question de principe, et le gouvernement britannique, disait-il, ne pouvait céder sur ce point. Les Australiens s’obstinèrent. C’était aussi pour eux une question de principe de ne pas mettre en discussion un texte approuvé par un referendum. Ils avaient d’ailleurs, pour justifier leur résistance, un autre motif. On ne le pouvait proclamer très haut ; mais il se fondait sur une considération des plus sérieuses. Les pouvoirs du gouvernement fédéral étant strictement définis par la Constitution, il ne semblait pas prudent de laisser au Conseil privé le soin de fixer les limites de leur application et de déterminer quels pouvoirs subsidiaires devaient logiquement dériver des premiers. On savait que les interprétations du Conseil privé au sujet de la Constitution canadienne s’étaient souvent inspirées de vues plutôt étroites et d’un esprit de littéralité. On tenait donc à ne confier la solution de ces problèmes, en ce qui concernait l’Australie, qu’à un tribunal national, mieux éclairé sur les besoins et les intérêts du pays, mieux à même aussi de rendre ses arrêts sans de trop longs retards.

Un compromis put enfin intervenir, dans lequel les Australiens eurent l’avantage, moyennant une concession de forme couvrant la retraite du Colonial Office. La prétention de constituer la Haute Cour fédérale en tribunal suprême des questions constitutionnelles fut maintenue ; mais cette même Cour eut le droit d’autoriser en ces matières l’appel au Conseil privé quand elle se croirait en état de certifier que, « pour quelque raison spéciale, » la question eu litige était de nature à être réglée par ledit Conseil[1].

  1. Voici le texte de cette disposition singulière par laquelle une Cour de justice peut autoriser ou interdire à son gré le pourvoi contre ses propres arrêts :
    « 74. No appeal shall be permitted to the Queen in Council from a decision of the High Court upon any question, howsoever arising, as to the limits inter se of the Constitutional powers of the Commonwealth and those of any State or States, or as to the limits inter se of the Constitutional powers of any two or more States, unless the High Court shall certify that the question is one which ought to be determined by Her Majesty in Council.
    « The High Court may so certify if satisfied that for any special reason the certificate should be granted, and thereupon an appeal shall lie to Her Majesty in Council on the question without further leave. »