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bien choisis, et surtout pour rédiger un programme avec eux ! Du temps de Pascal, il était plus facile de trouver des moines que des raisons : il est plus facile aujourd’hui de trouver des ministres que des réformes.

Tel est le ministère Clemenceau. Il a provoqué, chez les modérés, des appréhensions très vives, et, chez les autres, un enthousiasme médiocre. Le mot général est qu’on l’attend à l’œuvre. Nous ferons comme tout le monde, nous l’attendrons à ses actes, et au premier de tous, qui sera dans six semaines l’application de la loi de séparation. Mais nous l’attendons sans confiance et, à vrai dire, nous n’en constatons nulle part, du moins en Fiance, car, au-delà des frontières et dans certains pays, l’opinion lui est au contraire extrêmement favorable. Si nous en avions encore la place, nous montrerions combien à l’étranger on comprend mal nos affaires, et avec quelle imprudence on s’expose parfois à froisser nos susceptibilités. Il faut voir la tendresse, il n’y a pas d’autre mot, avec laquelle on y parle de M. le général Picquart auquel on assure que cette « réparation » était due ! On veut bien admirer notre générosité : elle est grande en effet si nous avons subordonné l’intérêt de notre armée à celui de cette « réparation ! » M. Clemenceau ferait sagement de modérer, s’il le peut, le zèle de quelques-uns de ses amis du dehors, car ils finiraient par le compromettre. Le sentiment, toutefois, n’est pas le même partout. En Allemagne on a commencé par montrer de l’irritation. On y a gardé sur le cœur quelques articles de M. Clemenceau, qui ne sont pourtant que verba et voces, et auxquels on aurait tort d’attacher trop d’importance. M. Clemenceau ne bouleversera pas la politique extérieure de la France : il sera pacifique comme ses prédécesseurs. En Russie, on attend et on se réserve un peu. Qu’y faire ? A l’exception d’un ou de deux, M. Clemenceau a traité tous les souverains de l’Europe comme de simples ministres français. Mais il était journaliste alors ; il est aujourd’hui président du Conseil ; d’autres nécessités, d’autres responsabilités s’imposent à lui. Après avoir dit qu’il était toujours le même homme, nous voudrions bien conclure qu’il changera. Ce n’est pas l’esprit qui lui manque, et il nous a déjà si souvent étonné !


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.