Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et communique à tout son éphémère ivresse.
Foule les raisins d’or, pour que l’Automne tresse
A ton front la couronne agreste dont tu veux
Auréoler ta grâce et ceindre tes cheveux.
Délivre en ton pressoir le vin naguère esclave,
La sève que l’ardeur du sol nourrit de lave
Et de cendre, et qu’aux ceps noueux cueille ta main.
Demain ruisselleront les topazes. Demain,
Attendrissant les cœurs et les regards sévères,
Le nectar enflammé parfumera les verres.
Ah ! des cendres d’orgueil et des laves de feu
Qu’accumule en mon âme embrasée, ô mon Dieu !
L’ardente passion qui dévaste ou féconde,
Mais toujours laisse en nous quelque empreinte profonde,
Jaillira-t-il un vin sous les pampres sacrés,
Par qui les hommes soient plus tard désaltérés,
Et qui, dorant la coupe où toute soif vient boire,
Fasse vivre à jamais mon nom dans leur mémoire ?


LE PAIN FUTUR


Les six bœufs accouplés que dirige un éphèbe
Sont, dans le clair matin, vêtus de robes d’or,
Et, sous le triple effort du triple joug, la glèbe
S’émiette en blocs fumans encor.

Ils gravissent jusqu’au sommet la pente rude,
Une bave écumeuse au mufle. Par instans,
Un souffle amer, frôlant les arbres qu’il dénude,
S’exhale en soupirs attristans.

Guidant l’agreste outil dont le métal flamboie,
Le jeune laboureur tantôt cambre le rein,
Tantôt penche le corps en avant, et la joie
Illumine son front serein.

Robuste, d’un accent déjà mâle il excite
Les fauves compagnons dont luit le cuir vermeil ;
Et, rompant l’âpreté monotone du site,
L’attelage vibre au soleil.