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Que sont-ils venus faire en ce monde tous deux,
El pourquoi l’ombre ainsi grandit-elle autour d’eux ?
La nocturne marée également submerge
Le gardeur indigent sous ses habits de serge
Et l’animal, dont l’œil se perd nul ne sait où.
L’un broute une herbe rare entre chaque caillou ;
L’autre mange le pain qu’on arrache au sol rude,
Et le soir les entoure avec la solitude.
Traversant résignés l’immuable douleur,
Sans avoir connu d’autre horizon que le leur,
Sans avoir éprouvé l’angoisse d’un mystère,
Tous deux seront bientôt effacés de la terre.
Or, je songe, non sans stupeur, que, dans mille ans,
Du haut du même ciel, les astres vacillans
Peut-être apercevront sur le plateau bleuâtre
Une autre vache avec un autre petit pâtre.


L’ENFANT AUX AGNEAUX


O pasteur enfantin, pasteur à l’œil candide,
Qu’enveloppe en ton pré la lumière splendide,
Après avoir mangé ce miel et ce pain bis,
Joue avec les agneaux de tes douces brebis.
Caressant la blancheur de leur laine qui frise,
Saute comme eux devant chaque mère surprise,
Car l’innocence est sœur de l’ingénuité.
Par l’ardeur de la course au hasard emporté,
Saute. L’herbe n’est pas moins molle et plus rebelle
A l’enfant qui bondit qu’à l’agnelet qui bêle,
Et l’élastique sol fait du souple berger
Le rival frémissant de l’animal léger.
Saute. Au rythme alterné de tant de grâce agile,
Je verrai sur vos jeux l’ombre du grand Virgile
S’incliner, et, suivant d’un regard radieux
Vos ébats, qu’accompagne un chœur de jeunes Dieux,
Le Poète, attendri par l’agreste cadence,
Ne regretter, quand tout s’émeut et vibre et danse
Et tournoie, enivré d’harmonieux accens,
Que ta flûte invisible et tes pipeaux absens.