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christianisme ? et n’usent-ils pas de ces périphrases élastiques pour ménager sa croyance sans désavouer la leur ? Je ne le crois pas. Si ces formules un peu ambiguës ne se rencontraient que dans les Panégyriques de Constantin, une telle hypothèse serait plausible. Mais on les retrouve dans l’éloge de Julien par Claudius Mamertinus, où il est question, devant le restaurateur du paganisme, « du dieu immortel, » de la « divinité qui lui inspire tous ses desseins. » En dehors même des Panégyriques, et pour ne rien dire non plus de Julien lui-même, dont la doctrine est plus obscure et plus métaphysique, on remarque des opinions analogues chez les correspondans païens de saint Augustin, Maxime de Madaura, Nectarius, Longinianus. Eux aussi croient à la fois à « un dieu unique et suprême, créateur de l’univers, incréé lui-même » que les hommes implorent sous divers noms, et à des dieux subalternes et intermédiaires. Soucieux d’accommoder les croyances populaires avec les spéculations des philosophes, désireux peut-être aussi de ne pas mériter les sarcasmes des chrétiens, bon nombre de païens intelligens arrivent ainsi à un monothéisme vague, qui laisse subsister la superstition mythologique, mais en s’élevant bien au-dessus d’elle. Et, d’autre part, certains chrétiens lettrés insistent plus sur la croyance à un Dieu unique que sur les rites et les dogmes particuliers de leur religion : Lactance est peut-être le plus parfait représentant de cette tendance. Enfin, le gouvernement impérial adopte volontiers cette conception large, qui lui permet de n’écarter personne par un dogmatisme trop tranché : ainsi la prière composée par Licinius pour ses troupes à la suite d’une vision ne contient rien en réalité qui dépasse le simple monothéisme, rien qui ne puisse être avoué par Nazarius, Claudius Mamertinus ou Maxime de Madaura. Les païens philosophes, les chrétiens instruits, les hommes de gouvernement, tous les élémens supérieurs de la société romaine, peuvent donc, sinon s’unir, au moins se rapprocher sur le terrain du monothéisme spiritualiste, et les Panégyriques en fournissent une preuve parmi beaucoup d’autres.


RENÉ PICHON.