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souvent. Certaines phrases semblent presque traduire une croyance à un dieu unique : « cette âme divine qui gouverne le monde entier, » « le dieu créateur et maître du monde, » « l’auteur suprême de toutes choses. » Et que dire enfin de ces deux éloquentes définitions de la Providence souveraine ? « Créateur suprême de la nature, qui as autant de noms que tu as voulu qu’il y eût de langages (car nous ignorons comment tu demandes qu’on t’appelle), soit que tu sois une force, une âme divine, répandue dans le monde, mêlée à tous les élémens et capable, sans aucune impulsion étrangère, de te mouvoir par toi-même, — ou une puissance régnant dans le ciel et contemplant ton œuvre du haut de cette sublime citadelle, — nous te prions et te supplions de nous conserver notre empereur. » Et, dans le discours de Nazarius : « Un dieu, juge de toutes choses, nous voit d’en haut, et, si profonds que soient les replis de l’âme humaine, la divinité pénètre partout et examine tout ; il est impossible, puisqu’elle nous donne l’air que nous respirons et les alimens qui nous entretiennent, qu’elle ait renoncé au gouvernement de la terre, et ne juge pas entre les existences de ceux dont elle assure la sécurité. C’est cette force, cette puissance arbitre du bien et du mal qui a protégé ta piété. » Voilà sans doute des professions de foi qui sont fort éloignées de ce qu’on entend habituellement par « paganisme. » Faut-il donc croire que les auteurs qui les ont écrites avaient rompu avec la religion traditionnelle ? Nullement, car c’est dans les mêmes discours que se trouvent les expressions très nettement païennes que nous signalions tout à l’heure, et d’ailleurs l’un d’eux témoigne bien que ce monothéisme élevé se concilie au fond avec le polythéisme consacré : « Tu as sans doute, y dit-on à Constantin, des rapports intimes avec cette divinité qui, nous confiant aux soins des dieux inférieurs, ne daigne se montrer qu’à toi seul. » L’être divin auquel s’adressent les hommages des Panégyristes, n’est donc pas, à proprement parler, un dieu unique, mais seulement un dieu suprême. Il domine les dieux de la fable, il ne les exclut pas, et c’est ce qui explique que les mêmes orateurs puissent parler tantôt comme de dévots païens, tantôt comme des philosophes et presque comme des chrétiens.

Mais, pourrait-on dire, sont-ils sincères quand ils emploient ces façons de s’exprimer à demi monothéistes ? ne sont-ce pas autant de complaisances pour l’empereur converti au