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Le témoignage des Panégyriques est également intéressant à recueillir en ce qui concerne cette autre transformation, bien plus importante, qui s’opère à cette époque dans l’état religieux du monde romain. Le seul fait que, parmi ces discours, les uns sont prononcés en l’honneur de Maximien ou de Julien, princes franchement hostiles au christianisme, d’autres en l’honneur de Constance, qui semble avoir été plus tolérant, d’autres enfin en l’honneur de princes chrétiens comme Constantin et Théodose ; ce seul fait, dis-je, invite à rechercher quelle est, en matière théologique, l’attitude de leurs auteurs. A priori, étant donnée la souplesse avec laquelle ces rhéteurs se plient d’habitude à toutes les volontés des souverains qu’ils célèbrent, on s’attendrait à ce qu’ils changeassent d’avis sur les questions religieuses comme sur tant d’autres, et à ce que, païens en s’adressant à Maximien et à Julien, ils fussent chrétiens en parlant à Constantin et à Théodose. Or, sur ce point, on n’aperçoit aucune contradiction entre leurs divers discours : ils sont tous païens, et en toutes circonstances. Cette fois, la fidélité aux traditions classiques a été plus forte que le désir de plaire. L’école, comme on sait, a été le dernier refuge, la citadelle suprême du paganisme dans les hautes classes de la société, — comme la campagne parmi les gens du peuple, quoique pour d’autres raisons. La vie de l’école se concentre essentiellement autour des poèmes d’Homère et de Virgile ; or ces poèmes sont intimement pénétrés de mythologie, et par là, les croyances païennes deviennent J’âme même de l’enseignement. Renoncer à invoquer les dieux de l’Iliade et de l’Enéide, ce serait abdiquer toute prétention à la culture libérale, ce serait se ranger soi-même au nombre des illettrés, presque des Barbares : un tel sacrifice est au-dessus des forces des Panégyristes. Le rhéteur, en eux, est plus puissant encore que le courtisan. De là leur manière d’agir envers Constantin. Ils savent que l’Empereur s’est détaché de l’ancienne religion et favorise la secte « galiléenne, » si méprisable à leurs yeux : ils en souffrent ; ils sont trop timides pour oser lui reprocher un pareil changement, mais trop païens d’esprit et de souvenirs pour y adhérer : ils se tirent d’affaire en l’ignorant. Comme, officiellement, le prince est toujours le chef de la religion traditionnelle, qu’il reste grand pontife même après sa conversion, il leur est loisible de supposer que rien n’est modifié, et ils usent volontiers de ce biais commode. C’est ainsi que l’auteur du VIIe Panégyrique nous