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surtout, d’une manière fort curieuse, dans le récit qu’ils tracent de la guerre entre Constantin et Maxence. La vérité des faits est la suivante : Constantin, empereur élu par une armée de province, gauloise en majorité, marche avec cette armée contre le prince qui règne à Rome, le bat, entre dans la ville et y fait reconnaître son autorité. En somme, si l’on veut, c’est une nouvelle prise de Rome par les Gaulois, et, s’ils avaient eu, comme on l’a quelquefois supposé bien à tort, des sentimens hostiles à l’égard de la capitale de l’Empire, c’était une belle occasion de triompher insolemment à ses dépens. Or il n’en est rien. Tout au contraire, les Panégyristes ont bien soin de faire remarquer que Constantin n’attaquait pas le peuple romain, mais seulement son tyran, Maxence. Que dis-je ? il attaquait si peu Rome qu’il la défendait bien plutôt ; c’est pour elle, et non contre elle, qu’il luttait, pour l’arracher à un despotisme féroce et honteux. Rome le savait bien, d’ailleurs, et tous ses vœux étaient pour qu’il eût le dessus : il l’a donc véritablement, non pas conquise, mais sauvée et délivrée. Cette façon de présenter les choses, qui se retrouve chez Lactance, et qui du reste n’est pas tout à fait dénuée de fondement, fait voir ce que Rome est alors pour les provinciaux, surtout pour les provinciaux intelligens et instruits : à défaut d’importance réelle, elle a gardé pour eux toute son autorité morale ; ils incarnent en elle, comme en un symbole, cette unité impériale à laquelle ils sont liés par un dévouement aussi profond, aussi fort, que leur amour pour leur pays d’origine.

Cette admiration respectueuse pour Rome est d’ailleurs commune à toutes les régions civilisées : le Grec Claudien, l’Espagnol Prudence, ne l’exprimeront pas avec moins d’ardeur que les Panégyristes gaulois. Ce qui est peut-être plus propre à ceux-ci, c’est le zèle avec lequel ils soutiennent la cause de la monarchie héréditaire et élaborent à ce sujet, comme nous dirions, une théorie légitimiste. Jamais cette doctrine, je crois, n’avait été formulée dans le monde romain. En établissant le gouvernement impérial, Auguste avait pris à tâche de le masquer sous des apparences qui le faisaient ressembler autant que possible au régime républicain ; il ne pouvait donc songer à le rendre héréditaire. Après lui, partout où nous rencontrons un langage franchement impérialiste, dans le De clementia de Sénèque, dans le discours que Tacite prête à Galba lors de l’adoption de