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ils exaltent la mémoire des princes qui, comme Claude le Gothique, ont conjuré ce danger et rétabli la ferme discipline du monde romain. Leur « loyalisme » est donc irréprochable. Je me sers à dessein de ce terme, parce qu’il n’implique aucune idée de basse sujétion. La soumission des Gaulois à l’Empire n’est pas plus de la servilité que leur attachement à la province natale n’est du séparatisme. La conciliation de ces deux sentimens nous est attestée par des mots comme celui-ci, à propos de l’œuvre de Maximien Hercule en Gaule : « La Gaule avait été exaspérée par les outrages qu’elle avait reçus : il a su la rendre à l’Empire pour assurer son obéissance et à elle-même pour assurer son salut. » Ainsi donc, aux yeux des Panégyristes, les habitans des provinces ne sont pas des vaincus qui doivent se plier à la force, mais des associés qui auraient tort de rompre un contrat où ils trouvent le bonheur et la sécurité. On pourrait même ajouter, quoique cela semble paradoxal, qu’ils y trouvent l’indépendance : un de nos rhéteurs ne dit-il pas, en parlant des Bretons soumis par Constance, « qu’ils sont enfin redevenus libres et enfin redevenus romains. » La liberté, alors, ne consiste pas dans l’autonomie, mais au contraire dans l’union avec l’autorité romaine ; et en effet, à le bien prendre, cette autorité régulière et pacifique était moins tyrannique que celle de rois barbares, de chefs de révoltés ou de généraux séditieux, c’est-à-dire des maîtres que pouvait espérer une province séparée de l’Empire.

Tels sont les sentimens des orateurs gaulois envers la communauté latine. Quant à la capitale de cette communauté, à Rome elle-même, elle bénéficie, aux yeux de leur patriotisme, de sa situation de métropole, et, aux yeux de leur érudition, de tous les prestigieux souvenirs dont son nom est auréolé dans l’histoire. C’est toujours pour eux la ville maîtresse de l’univers, la ville sainte, objet d’un culte religieux. Au fond, elle est bien déchue de son ancienne dignité ; la puissance réelle, la vie, se sont retirées d’elle au profit d’autres capitales, de Milan, de Trêves, de Nicomédie, de Constantinople : ils feignent de ne pas s’en apercevoir ; intérieurement ils en souffrent, parfois même ils osent regretter que les empereurs la négligent, et réclamer pour elle l’honneur de leur présence ; quand le souverain est parmi eux, ils la supplient de ne pas être jalouse de cette faveur. Leur pieux respect détruit toute idée de rivalité. Il apparaît