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sympathie et d’estime que leur donne le souverain. Ils demandent qu’entre eux et lui, il y ait un lien étroit et en quelque sorte personnel ; il faut qu’il soit à eux, moyennant quoi, ils seront à lui. C’est ainsi que l’auteur du Ve Panégyrique, parmi toutes les victoires des armées impériales, s’attache de préférence à celles dont les Gaulois ont pu jouir et qui leur appartiennent pour ainsi dire en propre ; le même orateur dit à Constance qu’il a conquis la Gaule en y venant. Cette présence du prince est sans cesse réclamée par les orateurs provinciaux, non seulement parce qu’elle est avantageuse, mais parce qu’elle est flatteuse pour l’amour-propre des pays visités : tantôt les habitans d’Autun invitent Constantin à s’arrêter chez eux ; tantôt ils s’applaudissent de l’avoir possédé, et font dater de là le commencement de leur relèvement ; Nazarius souhaite avec ardeur le retour en Gaule de Crispus, l’héritier de l’Empire ; Claudius Mamertinus retrace avec complaisance le séjour que Julien a fait dans cette province ; Lacatus en veut presque aux campagnes et aux conquêtes de Théodose en Orient, parce qu’elles lui font délaisser la Gaule. On sent qu’en voyant l’Empereur au milieu d’eux les Gaulois sont plus fiers et plus satisfaits ; le gouvernement auquel ils sont soumis ne leur fait pas dès lors l’effet de quelque chose de lointain et d’étranger, et c’est à quoi tient essentiellement leur patriotisme provincial.

Mais ce patriotisme n’en exclut pas un autre, plus large, celui qu’on peut appeler national ou « impérial, » et qui s’étend à toute la communauté latine. Les orateurs gallo-romains sont aussi romains que gaulois, et n’éprouvent aucune difficulté à être l’un et l’autre en même temps. Tout au contraire, ils rappellent avec complaisance les liens qui unissent à Rome les cités gauloises, et spécialement celle des Eduens : le nom de « frères du peuple romain » que le Sénat a accordé à leurs ancêtres leur paraît le titre le plus glorieux ; et ils sont heureux de montrer que ce titre est bien justifié, que les Eduens ont été les alliés de Rome les plus fidèles et les plus désintéressés, que jadis, au temps de César, ils ont facilité la conquête des Gaules, et que plus récemment, à l’époque de la grande anarchie militaire, ils ont travaillé plus puissamment que tout autre peuple à maintenir la domination romaine chez les Gaulois. Inversement, ils ne parlent qu’avec horreur des momens où cette domination a été ébranlée et où l’Empire a failli se démembrer ;