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par les soins bien plus importans que réclame la conduite de l’Etat, ils n’ont pas négligé les lettres. Jamais personne, avant eux, n’avait favorisé d’une égale sollicitude les travaux de la guerre et les arts de la paix… Ils croient ne pouvoir faire revivre le beau temps de la grandeur romaine qu’en ressuscitant l’éloquence latine aussi bien que la puissance de Rome. » Ces paroles d’Eumène sont significatives, non seulement parce qu’elles expriment un sentiment sincère de gratitude, mais parce qu’elles impliquent une comparaison de Dioclétien et de ses collègues avec leurs prédécesseurs ; elles supposent qu’au milieu de l’anarchie sanglante du IIIe siècle l’Etat s’est complètement désintéressé du développement intellectuel et littéraire, et que les empereurs du commencement du IVe siècle ont réagi contre cette blâmable indifférence. Plus tard, d’autres écrivains, Eutrope, Aurélius Victor, l’auteur de l’Epitome, jugeront insuffisant au contraire le goût de ces mêmes souverains pour les choses de l’esprit ; ils regretteront que certains d’entre eux tout au moins, Maximien Hercule et Galère, n’aient pas été plus instruits ou plus civilisés, et c’est à Constantin seul qu’ils attribueront la gloire d’avoir été un prince cultivé et d’avoir fait refleurir les belles-lettres. Mais peu importent ces divergences dans les appréciations individuelles : tous ces rhéteurs, au fond, sont d’accord sur le principe, à savoir que « l’instruction et la distinction de l’esprit sont nécessaires aux princes, » et que c’est un devoir pour eux de favoriser les lettres et les littérateurs. C’est même un des rares points sur lesquels les écrivains chrétiens s’entendent avec les païens. Lactance, dans ses invectives contre Galère, est poussé presque autant par ses rancunes professionnelles de rhéteur que par sa haine religieuse : il l’accuse d’avoir persécuté les orateurs et les jurisconsultes comme des ennemis publics et d’avoir employé des juges militaires sans esprit et sans culture ; bref, il en parle absolument comme Claudius Mamertinus parlera des empereurs catholiques prédécesseurs de Julien, tellement l’amour de l’éloquence et de la littérature est à cette époque puissant dans le monde des écoles. Il y a ce qu’on pourrait appeler un « esprit universitaire, » commun à tous les rhéteurs et supérieur à tous les désaccords politiques ou religieux.

Cet état d’âme professionnel n’a rien, au fond, qui doive nous étonner, mais ce qu’on peut remarquer, c’est le point de vue auquel se placent les Panégyristes pour célébrer les études