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de citer encore l’exemple des Camille, des Fabius, des Curius et des Caton : Dioclétien et Maximien sont de meilleurs modèles. » Ils ont rétabli la puissance romaine : ils en égalent donc les premiers fondateurs, ou plutôt ils les dépassent par leur union fraternelle qui contraste avec l’hostilité de Romulus et de Rémus. Constantin, lui aussi, est mis au-dessus de César, de tous les héros anciens, et, ce qui dit tout, de son propre père. Julien est plus aimé qu’aucun empereur ne l’a jamais été. Et quant à Théodose, il gouverne si sagement que Brutus, le libérateur de Rome et l’ennemi de la monarchie, Brutus lui-même, s’il pouvait ressusciter, se rallierait au pouvoir absolu. Cette dernière imagination, assez ridicule, montre jusqu’où va ce parti pris de faire de l’histoire romaine un marchepied à la personnalité impériale.

Ce n’est pas encore assez : l’Empereur est au-dessus des vivans, au-dessus des morts, il faut qu’il soit au-dessus des choses elles-mêmes. Saint-Simon reproche à Louis XIV son « plaisir superbe de forcer la nature : » les empereurs, à en croire les Panégyristes, n’ont pas besoin de la forcer ; elle va au-devant de leurs désirs, elle est trop heureuse de travailler pour eux. Maximien a-t-il besoin de beau temps pour achever ses constructions de navires ? le climat de la Gaule prend une sécheresse et une chaleur toutes méridionales ; au contraire, les bateaux une fois construits, pour en favoriser le lancement, la pluie se met à tomber et les fleuves à grossir. Le jour de l’anniversaire des souverains, le soleil brille plus éclatant que ne le comporte la date de l’année, « pour ne pas rester au-dessous de la majesté impériale. » Lorsque Constance bâtit une digue dans le port de Boulogne, la mer se garde bien de la détruire tant qu’elle est nécessaire, mais s’empresse de la démolir aussitôt que l’Empereur n’en a plus besoin, comme pour montrer sa fidèle obéissance. Le même César faisant une expédition contre l’île de Wight, les brouillards se hâtent de le favoriser. Dans la lutte entre Constantin et Maxence, le Tibre se fait l’allié du premier : il engloutit le corps de son rival, mais ne l’entraîne pas loin des murs de Rome, afin que la population soit témoin de cette mort. Il est impossible, comme on le voit, d’être plus prévenant, et l’un des Panégyristes a bien raison de dire à Constantin que « toute la nature est l’esclave de sa divinité. »

« De sa divinité : » le mot est essentiel, et l’apothéose