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qualités essentielles chez des empereurs. Il ne suffit pas que Constantin soit un chef d’armée ardent et intrépide : on tient à chanter sur tous les tons sa douceur, sa clémence, quitte à les voir démenties par tant de mesures rigoureuses prises sous son règne. Il ne suffit pas non plus que Julien soit un réformateur énergique et ferme : on veut à tout prix vanter sa tendre et respectueuse sympathie pour son cousin Constance, qu’il ne pouvait pas souffrir. On ne voit pas qu’en adoucissant ainsi, contre toute vérité, le caractère de ces souverains, on les rend bien moins intéressans et qu’on les défigure par cette niaise fadeur.

Lorsqu’il s’agit de choses plus importantes et en particulier de victoires ou de conquêtes, on a bien soin d’en attribuer toute la gloire à l’Empereur, et à lui seul. Il n’en était pas ainsi jadis : lorsqu’un consul montait au Capitole, c’étaient toutes ses légions qui étaient saluées en sa personne, et Tite-Live dit très justement que le triomphe appartient moins au général qui l’obtient qu’à tous ses soldats. Les Panégyristes sont bien loin de cette conception si équitable et si vraie : ils professent expressément la théorie opposée, et l’un d’eux déclare sans ambages que tout ce que les subalternes accomplissent a son point de départ dans les empereurs. C’est une fiction légale établie depuis Auguste, mais les Panégyristes se plaisent à la prendre au pied de la lettre et à en tirer des conséquences infinies. Si le prince est entouré de mauvais soldats, peu importe : sa présence, son exemple, suffisent pour les rendre bons. S’il n’a que quelques troupes, peu importe encore : il est là, on sera victorieux. S’il est au milieu d’une nombreuse armée, tant mieux, mais au fond, c’est toujours lui seul que redoutent les Barbares. Lui seul vaut mieux que toutes les garnisons pour défendre la frontière, mieux que la frontière pour protéger l’empire romain. On dirait, à lire ces discours, que le souverain n’a ni soldats ni officiers, ni ministres, que sa personnalité absorbe la vie totale de la société, qu’il peut tout, qu’il fait tout, qu’il est tout.

Non seulement il se dresse ainsi, isolé, dans le monde actuel, mais tout le passé est également humilié devant lui. Les souvenirs de l’antiquité romaine, si fréquens, comme on l’a vu, chez les Panégyristes, n’y sont guère rappelés que pour être dépréciés systématique mont et pour rehausser par contraste la gloire du monarque célébré. « Il est inutile, dit l’un de ces orateurs,