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La syntaxe, dans ces harangues, n’est pas moins conservatrice que le vocabulaire. La seule irrégularité véritable qu’on y puisse signaler est l’emploi des propositions conjonctives au lieu de l’infinitif : encore cette construction n’était-elle pas ignorée absolument au siècle d’Auguste. Je n’insisterais pas sur cette fidélité aux règles grammaticales si elle ne mettait une différence sensible entre les orateurs gaulois et les écrivains d’Espagne ou d’Afrique : ceux-ci, plus hardis ou plus fantaisistes, repétrissent la langue à leur gré ; les autres l’acceptent et la conservent, sans effort, telle qu’elle a été fixée par les bons modèles. À ce titre, ils annoncent bien notre propre littérature, qui sera toujours très conservatrice en fait de vocabulaire et de syntaxe. Chez nous, en effet, à toutes les époques ou peu s’en faut, la correction du langage s’imposera même aux génies les plus originaux comme une loi indiscutable ; les faiseurs de poétiques édicteront que


Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.


Et même les révolutionnaires en poésie, d’accord pour une fois avec leurs adversaires, s’écrieront eux aussi :


Guerre à la rhétorique, et paix à la syntaxe !


Notre pays, qu’il ait parlé latin ou français, a toujours été un pays de purisme grammatical.

Il a toujours été également un pays épris de clarté : sur ce point encore, les rhéteurs de la Gaule apparaissent comme nos lointains précurseurs. Ce qu’ils disent peut être parfois médiocrement pénétrant ou insuffisamment original : du moins, ce n’est jamais obscur. Leurs phrases, quoique longues, ne sont jamais assez traînantes pour que le lecteur perde le fil de leur pensée au cours du chemin accompli ; elles ne sont pas non plus contournées au point que la suite logique des idées soit masquée à nos yeux par des transpositions arbitraires ; enfin elles sont peu chargées d’images, et les conceptions de l’esprit y sont traduites franchement, directement, sans déguisement ou sans voile. Tout cela concourt à produire une impression habituelle de limpidité lumineuse. Je veux bien que l’on ne doive pas prôner trop haut ce mérite après tout secondaire. Une œuvre n’est pas condamnée par le seul fait qu’on la trouve obscure : il y en a de fort belles