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renforcemens de l’idée. Ailleurs, la grandiloquence se traduit par une imitation factice des mouvemens pathétiques : l’orateur apostrophe ses adversaires en de véhémentes objurgations, ou bien il fait parler en un langage dramatique les êtres vivans ou abstraits dont il a besoin : tel panégyrique ne compte pas moins de trois prosopopées à lui tout seul.

Les rhéteurs gallo-romains ne se croient pas toujours obligés d’enfler autant la voix. Mais alors ils raffinent d’une autre manière : ils cherchent à piquer la curiosité par l’expression ingénieuse de comparaisons ou d’oppositions inattendues. Ainsi, en exaltant la modestie de Julien, qui s’appliquait, quand il n’était encore que César, à dissimuler ses mérites, Claudius Mamertinus évoque le souvenir d’un jeune homme d’Etrurie, qui, selon la légende, aurait défiguré à plaisir son beau visage pour ne pas exciter de passions coupables. Le rapprochement est déjà passablement alambiqué par lui-même : mais le panégyriste ne s’en contente pas. Il analyse, il décompose cette notion de « beauté, » et se demande gravement si Julien aurait bien pu « ternir la blancheur de son équité, effacer la rougeur sacrée de sa pudeur, meurtrir d’indignes blessures le cou de sa vaillance, et crever les yeux de sa prudence. »

Plus souvent encore que la métaphore détaillée, l’antithèse savamment balancée sert aux Panégyristes pour faire admirer le subtil arrangement de leurs phrases. Le modèle de ces développemens par opposition symétrique se trouve, je crois, dans ce passage du IIe Panégyrique où l’on nous montre Maximien obligé de combattre les Barbares le jour même où il prend les auspices consulaires : « Le soleil, en sa course rapide, t’a vu commencer ton rôle de consul et remplir ton métier de général. Nous t’avons vu, en une même journée, faire des vœux pour le salut de l’Etat et en réaliser l’accomplissement. Ce que tu avais souhaité pour l’avenir, tu en as fait aussitôt une chose achevée : on eût dit que tu prévenais le secours divin que tu avais imploré, et que tu avais fait d’avance tout ce que les dieux t’avaient promis. Oui, nous t’avons vu le même jour dans l’appareil le plus brillant de la paix et dans le costume le plus beau du courage… » Je m’arrête, mais le panégyriste continue… C’est surtout à la fin des développemens que les rhéteurs aiment à, placer une antithèse compliquée, pour les résumer d’une manière frappante et pour retenir plus victorieusement l’attention.