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Ce serait d’autant plus étonnant que les habitudes de pensée et de style engendrées par leur système d’éducation sont, en quelque sorte, impérieusement exigées par le genre dans lequel ils se sont exercés. Ce genre a une histoire, dont on ne saurait faire abstraction pour comprendre leurs ouvrages. Le discours dont ils se sont le plus directement inspirés, celui que le compilateur a mis en tête de la collection comme pour la placer sous son patronage, c’est le Panégyrique de Trajan par Pline le Jeune. Le modèle, il faut l’avouer, n’est pas excellent : Pline est un penseur peu profond, peu perspicace, qui accouple à des observations judicieuses bien des niaiseries, qui loue pêle-mêle l’Empereur de ses victoires et de sa haute prestance, de ses réformes politiques et de ses beaux cheveux blancs. C’est un bavard, qui professe ces inquiétantes maximes que la brièveté n’est pas un mérite, que « tout bon livre est d’autant meilleur qu’il est plus long. » Enfin, c’est un phraseur, un styliste, un maniériste : cet homme qui enjolive et farde les moindres billets intimes, qui est le premier, selon toute apparence, à débiter ses plaidoyers dans les lectures publiques, donne encore plus libre cours à sa coquetterie en composant son discours officiel ; il multiplie les exclamations, les comparaisons, les antithèses, et, surtout à la fin des développemens, ces jeux de termes qui reviennent et s’opposent en un cliquetis sonore et subtil. Certes je ne nie pas les mérites que peut présenter cette harangue, ni l’utilité des renseignemens historiques qu’elle contient, ni le bonheur de certaines expressions, ni surtout la sincérité qui l’anime : je dis seulement qu’elle renferme le germe, et plus que le germe peut-être, de ces vices qui s’épanouiront plus tard, de la puérilité, du délayage et de l’affectation qu’on reproche aux Panégyriques gallo-romains. On peut aller plus loin encore. De Pline, il n’est pas malaisé de remonter jusqu’à Cicéron. Aucun discours de Cicéron ne porte le nom de panégyrique en fait, n’en sont-ce pas de véritables que les discours sur la loi Manilia, sur les provinces consulaires ou pour Marcellus ? l’auteur n’y épanche-t-il pas des flots de louanges somptueuses et retentissantes en l’honneur de Pompée ou de César ? La première de ces harangues, notamment, est très frappante à ce point de vue. Cicéron s’est chargé de justifier les pouvoirs exceptionnels qu’on veut donner à Pompée : en réalité il ne les justifie pas ; il ne démontre ni ne discute ; il ne voit pas les