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faut dire, et, pour conclure, laissant là ces questions de vanité ethnique, dont nous n’éclaircirons jamais l’obscurité, ce que l’on impute encore à des qualités de race, il faut le rapporter désormais à sa véritable origine, qui est ici, comme aussi bien celle de toutes les grandes œuvres, le génie d’un seul homme.


III

« Qu’il a existé à la base de toute la tradition poétique de Tristan, un Poème unique, archétype commun de tous les romans connus, » — c’est textuellement le titre de l’un des chapitres de l’Introduction de M. Bédier ; et on le trouvera, je pense, assez clair. La démonstration de la thèse que M. Bédier y avance n’est pas moins claire, ni moins péremptoire.

Nous avons dit que nous avions des fragmens de Tristan, presque dans toutes les langues de l’Europe du moyen âge, et il semble au premier abord que cette abondance de textes implique une richesse infinie de la légende. Sans doute, sur le thème général du poème, — comme par exemple on le voit dans le roman en prose du XIIIe siècle, — se sont greffés des épisodes, empruntés eux-mêmes à d’autres légendes, comme celle de Lancelot, ou aux souvenirs de l’antiquité, à moins qu’ils ne soient de l’invention personnelle du trouvère ; et, ainsi, d’âge en âge, de poète en poète, la légende s’est agrandie jusqu’aux proportions d’un « cycle » romanesque ou épique ! Ce serait une erreur de le croire. Au total, M. Bédier nous dit, et il nous prouve, que « toute la tradition poétique relative à Tristan tient en quatre romans, celui d’Eilhart d’Oberg, celui de Béroul, celui de Thomas, et le roman en prose. » En d’autres termes, dans aucun des autres fragmens de Tristan qui nous sont parvenus, — et je pense que le poème de Gottfried de Strasbourg lui-même est compris dans le nombre, — il ne se rencontre un épisode qui déjà ne se trouve dans un de ces quatre romans, et quant aux plus significatifs de ces mêmes épisodes, ils figurent dans deux, ou dans trois de ces romans, ou dans tous les quatre. Ou, en d’autres termes encore, quelque hésitation que l’on puisse avoir sur tel ou tel détail, les contours de Tristan sont aussi nets, et aussi nettement définis, ils sont aussi arrêtés, que sont au contraire flottans ceux de la plupart de nos Romans d’aventures. Ce Tristan, dont nous n’avons pas de texte authentique et complet,