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ponts avec eux et qu’en les accusant d’avoir pactisé avec le parti révolutionnaire on les pousse vers ce parti, de prouver, eux aussi, qu’ils ont eu raison, et que toute entente avec le gouvernement était impossible. Si les Cadets sortent vainqueurs des élections, l’action du gouvernement contre eux aura été dangereuse. S’ils en reviennent décimés, il n’est pas sûr que le gouvernement ait à se féliciter beaucoup plus de sa victoire. Par qui, en effet, les Cadets auront-ils été remplacés ? Si c’est par des socialistes, comme il y a lieu de le craindre, où sera l’avantage ?

Quoi qu’il en soit, les Cadets, ne pouvant pas se réunir dans la Russie proprement dite, l’ont fait pour la seconde fois en Finlande. Après la dissolution de la Douma, ils avaient couru à Viborg ; ils sont allés cette fois à Helsingfors. On sait que la Finlande, profitant habilement des circonstances, s’est insurgée sur le flanc de la Russie. Elle a obtenu par là que sa constitution propre devînt une réalité, et sa constitution lui assure une autonomie à peu près complète. Elle entend la conserver : aussi ne verrait-elle sans doute pas d’un œil très favorable les partis d’opposition quasi révolutionnaire venir de Russie chez elle pour y préparer leurs campagnes, s’ils n’y mettaient une certaine discrétion. Qui sait ce qui arrivera demain ? Le gouvernement peut reprendre le dessus, et il ferait alors expier à la Finlande sa condescendance envers les révolutionnaires. D’autre part, les révolutionnaires peuvent l’emporter, et par conséquent ont droit aussi à des ménagemens. Le résultat de ces hypothèses en sens inverse n’est pas mauvais : la Finlande reste ouverte aux Cadets, mais ils sentent eux-mêmes qu’ils doivent s’y montrer modérés. Ils ne l’avaient pas fait à Viborg, et l’opinion finlandaise ne leur avait pas été bienveillante. Ce n’est cependant pas pour ce motif que, menacés de dissolution par la police, ils ont dû bâcler leur manifeste et se disperser au plus vite. Au plus fort de leur désarroi, ils s’étaient réunis dans une place de guerre placée sous l’autorité militaire russe, et ils pouvaient d’autant moins y trouver un refuge tranquille que des représentans de partis encore plus avancés s’étaient joints à eux. Leur séjour à Viborg a donc été très écourté.

Le manifeste qu’ils y ont signé leur cause aujourd’hui quelque embarras. Ils n’osent pas le désavouer, ce qui s’explique : ils feraient mieux, toutefois, d’en parler moins. Quoi qu’ils en disent, le document a un caractère révolutionnaire. La dissolution de la Douma était, de la part du gouvernement, un acte brutal et maladroit, mais non pas anticonstitutionnel. Contre un acte pareil, il était légitime de