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de bien manger[1], » elle ne faisait pas allusion à une chère délicate, mais à une chère copieuse. On se crevait de mangeaille au château de Hanovre comme au palais du Louvre, ni plus ni moins ; il n’y avait de différent que la cuisine, et c’est une chose dont l’on ne peut pas plus disputer que des couleurs. Eléonore d’Olbreuse[2]racontait que « son cœur se soulevait » devant les énormes plats de saucisses aux choux rouges, ou de purée d’oignons au gingembre, qui régalaient la duchesse Sophie. Madame en a dit autant des ragoûts servis à la table de Louis XIV. Proportion gardée, le nombre des plats était aussi extravagant ici que là, les dépenses de « la bouche » aussi excessives. On possède le budget de Jean-Frédéric, successeur de George-Guillaume, pour l’année 1678-1679. L’ensemble des dépenses se monte à 285 927 thalers. En voici quelques chapitres[3] :


Habillemens de Son A. Sérénissime 1 010 thalers.
Cadeaux de noces et de baptême 54 —
Aux quêtes (à l’église) 16 —
Chancellerie et cour supérieure (de justice) 625 —
Opéra 3 972 —
Armée 26 475 —
Cuisine 49 365 —

Dans ce dernier chiffre ne sont compris ni la bière et le vin, ni l’entretien du matériel, ni les indemnités aux serviteurs que l’on préférait ne pas nourrir, ni les gages du personnel des cuisines, ni ceux des chasseurs et jardiniers qui approvisionnaient le château de gibier et de légumes. Ces retranchemens faits, « la bouche » absorbait encore un sixième du budget total du Hanovre sous Jean-Frédéric.

La duchesse Sophie, qui avait vu Charles-Louis à l’œuvre, comptant les fagots et pesant le sucre, accusait ses beaux-frères de tolérer le coulage. Elle prétendait que George-Guillaume payait son « quisigner » plus cher « qu’un ministre d’Etat, » et qu’il n’en était pas moins honteusement volé. Elle n’aimait pas qu’on se laissât voler ; elle disait : « On est bien sot de donner

  1. Lettre du 8 juillet 1671.
  2. Eléonore d’Olbreuse, d’une famille noble du Poitou, était belle, spirituelle et vertueuse. George-Guillaume l’épousa morganatiquement en septembre 1665. Cf. The love of an uncrowned Queen, par W. H. Wilkins (Londres, 1900, 2 vol. in-8o).
  3. Die Hofhaltungen zu Hannover, etc., par le Dr. Eduard Wehse (Hambourg, 1853).