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si quelque loi du Nord, civile ou criminelle, a passé au Midi, les modifications qu’elle a dû subir de ce fait, et le rapport de ces modifications avec l’élévation de la température moyenne. Je voudrais que l’on me fit voir l’influence du thermomètre sur l’organisation du régime hypothécaire. La théorie des climats n’a peut-être servi à Montesquieu qu’à badiner plus ou moins agréablement sur les lois ou coutumes relatives aux rapports des sexes.

M. Pierre Martino nous assure en un autre endroit que « l’Esprit des Lois provoqua l’Essai sur les mœurs, » et que « c’est surtout de ses affirmations sur l’Asie que Voltaire eut le dessein de reprendre Montesquieu. » De ces deux assertions, si la seconde me paraît vraie, la première l’est peut-être moins. L’Esprit des Lois n’a paru qu’en 1748, tout d’un bloc, en deux gros volumes, et à cette date, l’Essai sur les mœurs, qui est un livre composé et publié par fragmens, n’avait pas encore vu le jour sous son titre définitif, mais, depuis plusieurs années, trois ans au moins, 1745, les journaux de l’époque, et en particulier le Mercure de France, en avaient donné de nombreux extraits. L’Essai sur les mœurs a été « provoqué » par le Discours sur l’histoire universelle ; Voltaire l’a écrit contre « l’éloquent Bossuet ; » et, si l’on le veut, c’est ainsi que Bossuet se trouve avoir éveillé l’intérêt de Voltaire pour les choses de l’Orient.

Il est impossible, en effet, quand on lit le livre de M. Martino, de n’y pas admirer, une fois de plus, dans ce champ tout nouveau des études orientales, la prodigieuse activité de Voltaire. Laissons de côté ses essais de « couleur locale, » sa Zaïre, son Mahomet, son Orphelin de la Chine ! dont le mérite ou l’intérêt, s’ils en ont un, ne consiste pas en leur exotisme ; mais, en quelque direction que se soit exercée, pendant cinquante ou soixante ans, la curiosité des choses de l’Orient, on le retrouve, et c’est lui, l’auteur de Zadig et de la Vision de Babouc, des Lettres d’Amabed et de la Princesse de Babylone, c’est lui qui, de tout cet Orient de bazar, de clinquant et de contrebande, en tire finalement le meilleur parti. Quand la vogue se détourne de la Perse et de la Turquie pour se porter du côté de la Chine, c’est encore lui qu’on voit explorer avec agilité les in-folio des bons Pères, et, autant ou plus que personne, travailler à dessiner de la Chine l’idéale image qu’il impose même aux philosophes et aux économistes. Notez d’ailleurs que, s’il interprète les faits ou les témoignages en polémiste ou en pamphlétaire, c’est en critique et en historien qu’il a commencé par rassembler ses matériaux. Oserons-nous le dire ? Sa critique est même souvent plus exigeante et plus sûre que celle de Montesquieu.