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deux reprises un épisode mineur en triolets, où passe un pressentiment funeste. C’est, au-dessous de la prière d’Agathe et de la romance de Desdemona, l’un des beaux momens consacrés par la musique à l’angoisse de l’attente, à l’effroi de la solitude et de la nuit.

Mais Guillaume Tell, encore une fois, domine tout le répertoire. Les deux premiers actes, à part quelques faiblesses, débordent vraiment de musique. Mélodie, harmonie, orchestre, récitatif, l’abondance des formes sonores n’a d’égale ici que leur pureté. Le chœur d’introduction, tel autre encore (en fa majeur) semble écrit avec la plume de Mozart. En cette longue suite d’« ensembles, » pas un andante n’est vide et pas un allegro, le finale excepté, n’est vulgaire. Au second acte, on aimerait pouvoir transcrire le petit chœur de la Nuit, rien que pour montrer à quelle extrême beauté l’extrême simplicité sait atteindre, et comment, dans une série d’inoubliables accords, une faute d’harmonie, — qu’un écolier n’oserait se permettre, — peut être en même temps, avec la liberté du génie, et commise et rachetée.

Est-il un élément de la perfection sonore qui manque au prélude romantique, puis à la ritournelle (de quatre mesures), enfin aux deux strophes, classiques et quasi virgiliennes, de Sombres forêts ? Avec ses trois mouvemens : son premier allegro qui se modère et se contient, son andante ultra-pathétique et son finale enivré d’enthousiasme, qu’est-ce que le fameux trio, sinon l’ébauche ou le raccourci d’une symphonie ? En rappellerons-nous les élans, ou les éclats, et le foudroyant effet que produit, non pas même telle phrase, mais telle note, et certains sanglots, certains cris d’Arnold, qui demeurent tout de même un chant.

Dans la vaste scène du Rütli, tout est musique. Les harangues de Guillaume y sont des chefs-d’œuvre d’éloquence à la fois chaude et sobre, de lyrisme verbal et chantant. Partout les chœurs et les soli se croisent et se font équilibre. De nombreux épisodes ne forment ici qu’une scène diverse, mais homogène. L’éclat et la solidité de l’orchestre ne le cèdent en rien à la variété des mélodies, des rythmes et des mouvemens. Ceux-ci, même rapides, restent graves, et le chœur syllabique sur ces paroles : « Guillaume, tu le vois ! » doit à sa vivacité même autant qu’au mode mineur et au pianissimo, son caractère fiévreux et haletant. Tantôt la polyphonie — des voix ou de l’orchestre — se divise ; tantôt